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premier ministre - Page 10

  • Gabriel Attal mène la campagne de la majorité

    « Nous respecterons une règle d'or anti-hausse d'impôt pour les Français afin de les protéger du matraquage fiscal voulu par le RN et la Nupes. Ces deux blocs veulent augmenter les taxes et impôts de tous les Français qui travaillent ou qui ont acquis un petit patrimoine. Nous y ferons barrage. » (Programme d'Ensemble pour la République, le 20 juin 2024).



     

     
     


    La campagne des élections législatives de 2024 sera la plus courte de la Cinquième République, et peut-être même de toutes les républiques, à l'exception d'une. Je n'ai pas vérifié précisément, c'est juste de mémoire, mais je pense qu'il faut remonter aux élections législatives du 8 février 1871 pour avoir une campagne encore plus éclair (encore plus "Blitzkrieg" !), puisqu'elles ont été organisées à la suite de la convention d'armistice entre l'Allemagne et la France signée le... 28 janvier 1871 ! À l'époque, victorieux, Bismarck (le Chancelier allemand) voulait pérenniser juridiquement l'accord d'armistice en le faisant ratifier par une assemblée représentative du peuple français (démocratique !) et c'est donc lui qui imposa à la France de les organiser aussi rapidement. Paradoxalement, le peuple majoritairement rural et peu instruit a envoyé une large majorité monarchiste à l'Assemblée alors que la République venait d'être proclamée le 4 septembre 1870.

    Mais revenons à 2024. Parmi ceux qui n'ont pas compris la dissolution, il y a Gabriel Attal, le Premier Ministre. Il n'était pas partant pour engager la France dans une campagne aussi rapide et avait proposé à Emmanuel Macron sa démission, qui a été refusée. Silencieux pendant 48 heures, Gabriel Attal est revenu dans le jeu électoral et sa position s'est renforcée dans la majorité comme le chef de la campagne de la majorité. Populaire, beaucoup des candidats Ensemble pour la République veulent avoir sa photo sur leurs affiches, tandis qu'Emmanuel Macron a été prié de se faire plus discret à cause de son impopularité (alors qu'en 2017, les candidats macronistes s'étaient fait élire sur la seule base de la photo d'Emmanuel Macron sur leurs affiches !). Et la campagne de Gabriel Attal fonctionne : passer de 14% (vote aux européennes) à 22% en une semaine dans les sondages, c'est sa marque et cela prouve qu'une campagne dynamique peut faire déplacer des montagnes. Il s'est déplacé environ une quinzaine de fois sur le terrain en une semaine et ne lésine pas sur les initiatives.

    Gabriel Attal, nommé à Matignon il y a moins de six mois, a bien compris que la campagne se jouait d'abord sur les images, et les images de la personnalisation. Alors que le poste de Premier Ministre ne se proclame pas, Jordan Bardella fait exactement aujourd'hui ce que Jean-Luc Mélenchon a fait en juin 2022, à savoir s'autoproclamer Premier Ministre. J'y reviendrai plus précisément, mais Gabriel Attal, face à ces deux premiers-ministrables populo-extrémistes, a bien dû se prendre au jeu et s'autoproclamer lui-même Premier Ministre bientôt reconduit si la majorité présidentielle préserve sa force de 2022 (au risque d'être désavoué par le Président de la République). Toujours est-il que cela semble un véritable plus dans la campagne d'Ensemble pour la République. Il n'a pas besoin de faire ses preuves, il est, tout simplement.

    Pièce maîtresse de toute campagne aux élections législatives, le programme. Celui d'Ensemble pour la République pour Gabriel Attal. Il est un peu étrange de demander à tous les candidats de "pondre" (car il s'agit de cela) un programme de législature, en principe sur cinq ans, au moins sur deux ans et demi (jusqu'en 2027), en un temps record de quelques jours. On comprendra donc que ces programmes mal finis ne seront pas à l'origine de la motivation du vote, mais bien entendu, il faut quand même un programme. Et celui que la majorité présidentielle est le plus sérieux parce qu'il est le moins dépensier et respecte le plus les électeurs contribuables : la coalition présidentielle promet qu'il n'y aura pas d'augmentation d'impôts, ce que se gardent bien de dire le RN ou le NFP dans la mesure où le coût de leur programme (de 100 à 300 milliards d'euros !) imposera nécessairement une augmentation fiscale d'une manière ou d'une autre (assumée à l'extrême gauche, tue à l'extrême droite).

    Le Premier Ministre Gabriel Attal a donc tenu une conférence de presse le jeudi 20 juin 2024 pour présenter le programme de la majorité présidentielle (on peut le lire ici ou revoir la vidéo au bas de cet article).

    Ce programme est sans doute le plus crédible car il est un programme de gouvernement... du gouvernement actuel. Il se nourrit par le sérieux budgétaire (trajectoire de 3% du PIB de déficit en 2027 qu'aucun autre programme ne propose), du refus d'augmenter la pression fiscale déjà énorme, mais au-delà des mesures économiques, par les seuls candidats qui rompent avec le choc de deux extrémismes, de deux populismes, de droite, édulcoré, bien cravaté, du RN, et de gauche, beaucoup moins courtois, plus haineux presque, de FI et de la nouvelle farce populaire. Du reste, pour les programmes de ces deux partis ou coalitions, on peut se rassurer sur le fait qu'ils sont tellement démagogiques et irréalistes qu'ils ne seront pas appliqués et ce seront les électeurs qui ont (une fois encore) cru au père Noël qui en seront pour leurs frais.

    Le programme commence comme le spot de la campagne officielle : avec l'unique image de Gabriel Attal. Pas d'Emmanuel Macron, comme écrit au début. Le programme s'ordonne autour du mot Ensemble, nom de la coalition de la majorité présidentielle qui regroupe les mêmes alliés qu'aux élections européennes, Renaissance, le MoDem, Horizons, le Parti radical, et aussi l'UDI qui, pourtant, ne s'était à l'origine engagé auprès de la Macronie que sur la question européenne. Avec la confusion provoquée par l'alliance assumée du président de LR Éric Ciotti avec le RN (qui n'en rêvait pas tant), les centristes de l'UDI n'avaient plus d'autre choix, face aux deux grossiers populismes, bardellesque et mélenchonesque, que de continuer à faire alliance avec ceux qui représentent le mieux leurs idées.

    Le programme d'Ensemble est composé de neuf parties.



    1. Ensemble pour protéger votre pouvoir d'achat

    La formulation est maladroite car arrogante. "Protéger NOTRE pouvoir d'achat" aurait été plus adapté. Là, c'est le lointain de l'élite qui voudrait s'adresser à la France d'en-bas. Le "nous" aurait fait sens avec "Ensemble". Mais qu'importe la formulation, on a bien compris qu'avec la brièveté de la campagne, un programme ne peut pas se maturer, se peaufiner.

    Quelles sont les mesures ? Avec la perpétuelle question posée à tous les sortants : pourquoi ne l'avez-vous pas fait auparavant, quand vous aviez le pouvoir ? L'introduction du programme y répond : à cause des multiples crises, dont la crise du covid-19 qui n'a pas empêché, malgré tout, de poursuivre la baisse du chômage. Et c'est une éclatante réussite des gouvernements depuis 2017 alors que depuis 1981, la France se mourait dans un chômage de masse. On l'oublie beaucoup trop mais c'est Emmanuel Macron qui a libéré l'économie française et permis durablement la réindustrialisation, l'économie française est enviée par les Allemands, la France est le premier pays européen pour son attractivité auprès des investisseurs... L'enjeu, il est d'abord là : faudrait-il que tout ce travail fût inutile pour qu'il soit stupidement cassé par des démagogues extrémistes, à droite ou à gauche, assoiffés de pouvoir, qui ont montré leur incompétence totale, soit par inexpérience soit par des résultats très décevants (quinquennat de François Hollande pour la gauche) ? Le "stupidement" ne reprend bien sûr pas la volonté des électeurs qui, pour tout démocrate, est sacrée, il peut reprendre la décision un peu précipitée de la dissolution, et la surenchère à la démagogie des deux blocs extrémistes (RN et NFP).

     
     


    En outre, Gabriel Attal a rappelé dans sa conférence de presse : « Depuis 2017, nous, les impôts, nous les baissons. Nous avons supprimé la taxe d'habitation. Nous avons supprimé la redevance télé. Nous avons baissé l'impôt sur le revenu sur les tranches les plus basses, c'est-à-dire sur les classes moyennes. Depuis 2017, nous avons aussi revalorisé les salaires des femmes et des hommes de nos services publics : nos enseignants, nos soignants, nos policiers, nos gendarmes. ». Les électeurs doivent-ils être toujours ingrats ? Ce sera une question peut-être dans les années à venir.

    Alors, les mesures ? Le gouvernement encouragera les augmentations de salaire pour les salaires en dessous de 2 500 euros nets. Dès l'hiver, la facture d'électricité des ménages baissera de 15% (soir 200 euros sur une année) : c'est le résultat de la réforme du marché européen de l'électricité négociée par la France et pas encore mise en œuvre. La prime d'activité, qui a été versée à 6 millions de bénéficiaires en 2023, sera augmentée jusqu'à 10 000 euros, sans charge ni impôt. Les pensions de retraite de 17 millions de personnes seront revalorisées pour suivre l'inflation (mais pas indexées). Dès cet été, des achats groupés de fournitures scolaires permettra de baisser de 15% le prix de la rentrée scolaire dans les familles.


    2. Ensemble pour l'accès à la santé

    Grâce à la suppression du numerus clausus, le nombre de médecins formés va doubler, 16 000 en 2027 contre 8 000 en 2017. Chaque Français aura un médecin de garde à moins de 30 minutes de son domicile. En permettant aux sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, opticiens et orthophonistes de réaliser une vingtaine d'actes médicaux, on libérera 20 millions de rendez-vous médicaux supplémentaires par an. Pour les 3 millions de Français sans mutuelle, une offre de mutuelle publique sera créée à 1 euro par jour. Les fauteuils roulants seront remboursés intégralement dès la fin de l'année. Une facture informative sera envoyée à partir de 2025 après chaque passage à l'hôpital ou en médecine de ville afin de connaître le coût réel des soins et de détecter d'éventuelles fraudes dont l'assuré social n'aurait pas eu connaissance.


    3. Ensemble pour l'accès au logement

    La garantie de loyers sera étendue pour faciliter la location tout en rassurant les propriétaires. Une taxe sur les rachats d'actions financera le fonds de rénovation énergétique des logements des classes moyennes et populaires, pour rénover 300 000 logements supplémentaires d'ici à 2027. Les droits de mutation pour l'achat du premier logement jusqu'à 250 000 euros seront exonérés pour faciliter l'accession à la propriété de 1 million de jeunes de classes moyennes et populaires.


    4. Ensemble pour le travail et le mérite

    Depuis 2017, 300 nouvelles usines ont été ouvertes et ont créé 150 000 emplois. D'ici à 2027, 400 usines nouvelles seront créées avec 200 000 emplois à la clef. Le plan France 2030 sera poursuivi pour favoriser la recherche et l'innovation. 17 milliards d'euros ont été mis en redressement pour fraude en 2023 et cette lutte implacable sera poursuivie contre toutes les fraudes sociales et fiscales. Aucun droit de succession ou de donation ne sera demandé jusqu'à 150 000 euros par enfant et 100 000 euros par petit-enfant. La retraite des agriculteurs sera revalorisée à hauteur de 100 euros par mois pour la moitié des futur retraités. Les TPE et PME seront de nouveau soutenues sur le plan financier et administratif.


    5. Ensemble pour les valeurs de la République

    Laïcité à l'école et dans tous les services publics, interdiction de l'abaya à l'école. Généralisation du testing pour lutter contre les discriminations à l'embauche, lutte contre le racisme, l'antisémitisme, le sexisme, l'homophobie et toutes les haines. Sanction immédiate avec comparution immédiate dans les cas les plus graves pour les jeunes délinquants en revoyant l'excuse de minorité. Depuis 2017, 12 000 personnes ont été expulsées. La délivrance d'une carte de séjour longue durée sera conditionnée à la maîtrise de la langue française et au respect des valeurs républicaines.
     

     
     



    6. Ensemble contre les inégalités de destin

    La formation des professeurs sera renforcée, l'école inclusive aussi pour les élèves en situation de handicap. D'ici à 2027, 100% des résidences universitaires auront été rénovées (elles sont déjà 90% à avoir été rénovées entre 2017 et 2024), et 35 000 nouveaux logements étudiants seront construits dont 10 000 en résidences universitaires. Le repas des étudiants boursiers sera maintenu à 1 euro et leur bourse revalorisée de 37 euros par mois. Un droit de congé de naissance durant trois mois sera mieux indemnisé que le congé parental actuel. Sera instaurée la solidarité à la source avec le versement automatique des aides sociales dès 2025.


    7. Ensemble pour la cohésion de nos territoires

    Le soutien de l'État aux collectivités locales sera poursuivi à l'investissement local pour la transition écologique avec le Fonds vert. Les dotations de fonctionnement ne baisseront pas. Plus de 300 maisons France Services seront ouvertes d'ici à 2027, l'objectif est d'avoir une maison France Services à moins de 20 minutes de chez soi (il y en a déjà 2 700).
     

     
     



    8. Ensemble pour protéger l'environnement

    Après une baisse inédite de 6% des émission de gaz à effet de serre en 2023, l'objectif sera, d'ici à 2030, de baisser de 55% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, dont 20% entre 2024 et 2027. 100 000 véhicules électriques seront proposés chaque année en leasing social. Quatorze nouveaux réacteurs nucléaires seront mis en chantier pour assurer l'indépendance énergétique de la France et la décarbonation de son économie. Le plastique jetable sera progressivement supprimé et l'économie circulaire encouragée.


    9. Ensemble pour que la France rayonne dans le monde

    Appartenance à l'OTAN, dissuasion nucléaire, la France gardera tout ce qui garantit sa souveraineté. Son budget militaire sera doublé d'ici à 2030, selon la trajectoire de la loi de programmation militaire.
     

     
     


    Bloc contre bloc contre bloc

    Dans son propos introductif, Gabriel Attal s'en est beaucoup pris au RN et au NFP : « Cette élection, c'est le choix de votre gouvernement. C'est le choix de votre Premier Ministre. C'est le choix du projet de société que vous souhaitez. Aujourd'hui, ce choix est très clair. Il n'y a que trois blocs, trois alternatives claires : l'extrême droite menée par Jordan Bardella, la Nupes menée par Jean-Luc Mélenchon, ou alors Ensemble pour la République, la majorité que je mène. (…) Le choix entre ces trois blocs se jouera dès le premier tour, dès le 30 juin. (…) Ma majorité, mes candidats sont les seuls à faire preuve de cohérence et à avoir une ligne claire dans cette campagne. (…) L'extrême droite est devenue le camp du reniement national. Depuis le début de cette campagne, ça a été un jour, une reculade. Le programme, c'est un grand effeuillage. Il ne reste à la fin qu'une feuille blanche, et en plus, ils vous demandent de signer en bas. Quant à Jordan Bardella, il a affirmé qu'il n'était pas prêt à gouverner, en tout cas, qu'il n'était prêt à gouverner que si la situation était facile (…). Quand on fuit les difficultés, on n'est pas prêt à gouverner. Le Rassemblement national, c'est l'impréparation, c'est le brouillon et le brouillard. L'extrême droite, c'est faire un saut dans le vide pour les Français. De l'autre, la Nupes, unie derrière la France insoumise, est le camp de la compromission et de la dissimulation. Compromission avec l'extrême gauche et ses outrances, avec lesquelles une partie de la gauche avait pourtant juré, la main sur le cœur, ces dernières semaines, de couper. Compromission sur les valeurs, en s'alliant sur un projet irréaliste et dévastateur pour notre économie. Dissimulation sur le programme dont chacun conteste le chiffrage et dissimulation en maintenant un écran de fumée sur l'identité du locataire de Matignon en cas de victoire de la Nupes. Ils semblent ne pas s'entendre sur un nom, en tout cas, faire mine de ne pas s'entendre sur un nom, et pourtant, le résultat est couru d'avance : ils l'ont dit eux-mêmes, le plus grand groupe de la Nupes choisira le Premier Ministre. Le groupe qui a le plus de candidats et le plus sortants, c'est la France insoumise. C'est elle qui a d'ores et déjà imposé son programme aux autres partis de gauche,et donc, en cas de victoire de la Nupes, le Premier Ministre, ce serait nécessairement Jean-Luc Mélenchon. ».

    Choix par adhésion aux mesures proposées, choix par défaut en opposition aux deux blocs extrémistes et populistes qui jouent sur les peurs, la colère et la démagogie, le choix du 30 juin 2024 sera crucial pour la France car il dira si la France continue à prétendre au meilleur ou y renonce pour se fourvoyer dans une impasse électorale, dans une instabilité économique, financière et politique. Emmanuel Macron annonçait le 18 juin 2024 qu'il avait confiance en l'intelligence des Français. Gabriel Attal n'a pas cité le Président de la République et s'est autoproclamé chef de la campagne en insistant, avec l'emploi de la première personne, à son autorité : "ma" majorité, "mes" candidats, "mon" programme. Et son programme se caractérise d'abord par son sérieux, son réalisme et surtout sa cohérence. En ce sens, il est unique car il est bien le seul à les conforter.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (20 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Gabriel Attal.
    Éric Ciotti.
    Le programme aux élections législatives du 30 juin 2024 d'Ensemble pour la République (document à télécharger).
    Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240620-gabriel-attal.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/21/article-sr-20240620-gabriel-attal.html




     

  • Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin

    « Le Président, par cette décision imprévue, improvisée, non réfléchie, a plongé le pays dans un moment troublé, et peut-être même dans un moment trouble. » (Lionel Jospin, le 17 juin 2024 sur France Inter).




     

     
     


    La dissolution soudaine et brutale du 9 juin 2024 a fait ressortir de nombreux retraités de la vie politique. Par exemple, l'ancien Premier Ministre socialiste Lionel Jospin qui était l'invité de la matinale de France Inter ce lundi 17 juin 2024. À bientôt 87 ans (dans quelques jours), Lionel Jospin, s'il montre qu'il a son âge, s'exprimant très lentement, ce qui est commode pour éviter d'être interrompu par les journalistes, semble avoir gardé toute sa tête, toutes ses facultés mentales, peut-être même sont-elles encore trop intactes pour oublier son arrogance, son orgueil et sa propension à donner des leçons de morale à tout le monde, lui qui fut à l'origine du choc de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle.

    Reprochant la supposée impréparation de la décision de dissoudre (c'est son point de vue, il semblerait que la décision était dans les projets de l'Élysée depuis plusieurs mois), l'ancien Premier Ministre a ajouté : « Pour la première fois dans l'histoire de la République, un parti d'extrême droite pourrait diriger la France. (…) Donc, c'est un moment extrêmement sérieux, et imprévisible. ».

    Reprenant une narration plutôt personnelle, il n'a pas compris le pourquoi de la dissolution : « Et puis soudain, le Président, je ne sais pourquoi, décide que ce scrutin qui concernait l'Europe, il allait le projeter dans la vie politique nationale française. ». Une critique qui n'est pas si éloignée de celle, d'ailleurs, de l'ancien Président Nicolas Sarkozy (j'y reviendrai). Ce qui est notable, c'est que Lionel Jospin aurait pu dire la même chose de la dissolution prononcée le 21 avril 1997 par le Président Jacques Chirac qui, finalement, lui a permis de gouverner la France pendant cinq ans dans un gouvernement de cohabitation, sous les couleurs multiples de la gauche dite plurielle (PS, PCF, EELV). À l'époque, Jean-Luc Mélenchon était un sage sénateur du parti socialiste, nommé d'ailleurs sous-ministre par Lionel Jospin pendant quelque temps.

    L'ancien premier secrétaire du PS sous François Mitterrand conçoit ainsi l'exercice démocratique, le retour aux urnes, comme un trouble : « S'il est garant des institutions, je constate qu'il les trouble [en parlant d'Emmanuel Macron]. La prochaine élection nationale était dans trois ans, c'était l'élection présidentielle. Les élections législatives (…) devaient être dans trois ans aussi, dans la foulée. Qu'est-ce qui justifie tout d'un coup... (…) Il ne se comporte pas comme un garant des institutions, mais comme quelqu'un qui les trouble, si vous voulez. ». Cet avis est complètement contre-constitutionnel : la dissolution est l'une des prérogatives constitutionnelles du Président de la République, la décider n'est pas un trouble mais une simple application de la Constitution. Lionel Jospin serait-il gâteux, au contraire de ce que j'ai écrit au-dessus, ou est-il tellement politisé contre Emmanuel Macron qu'il dit n'importe quoi ?

     

     
     


    Ainsi, au lieu de dire que le risque d'une majorité RN vient d'abord du peuple (et des sondages qui essaient tant bien que mal de capter ce que pense le peuple à un instant t), Lionel Jospin considère ...qu'il vient d'Emmanuel Macron lui-même par la dissolution : « C'est lui qui vient d'exposer les Français par cette décision à ce danger lui-même, et donc, la résistance ne va pas venir de ce côté-là. (…) Il y a quelque chose d'incompréhensible, il y a un jeu avec les institutions. ». Bref, il oublie simplement de prendre l'avis des Français qui, aujourd'hui, semblent séduits (bien malgré moi) par la figure médiatico-creuse de Jordan Bardella comme ils l'avaient rejeté il y a vingt-deux ans de manière ferme et définitive, ce qu'il n'a jamais compris.

    Je pense que Lionel Jospin s'est arrêté de réfléchir politiquement au 21 avril 2002. L'arrivée de la génération née dans les années 1950 (François Hollande, Ségolène Royal, Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou, François Fillon et Nicolas Sarkozy) est déjà, pour lui, difficile à comprendre mais depuis 2017, c'est la génération des responsables nés dans les années 1970 voire 1980 qui est maintenant aux responsabilités (sans compter que Jordan Bardella est né... en 1995 !). Il est complètement dépassé par le jeu politique actuel qui est, il faut l'admettre, parfois assez déconcertant par sa violence (et pas seulement verbale).

    L'une des preuves de ce que j'avance, c'est qu'il n'a toujours pas digéré sa défaite, et ce n'est jamais à cause de lui, c'est toujours à cause des autres ! Lionel Jospin a dédramatisé la candidature de "Félix Poutou" (il voulait dire Philippe Poutou) en bon trotskiste partisan de l'entrisme ! Pourtant, son intégration dans cette nouvelle farce populaire (NFP) est une véritable incompréhension, un accord de gouvernement avec le NPA ! Mais doctrinaire, il s'en moque. Écoutons-le maintenant parler de François Hollande qui fut son dauphin au PS entre 1997 et 2002 : « François Hollande est, je le rappelle quand même, le seul socialiste qui a été en mesure de devenir Président de la République après François Mitterrand. », ce qui est vrai (toutefois, comme il s'agissait d'une cohabitation et qu'il avait réellement le pouvoir, il aurait pu s'ajouter lui-même comme étant l'un des trois socialistes qui a réussi à conquérir le pouvoir sous la Cinquième République). Et puis, Lionel Jospin a ajouté cette petite phrase qui traduit toute son amertume et sa colère (contre les Français, contre la classe politique) vingt-deux ans plus tard : « Moi, ça a été refusé en raison de la division, et donc, je sais ce qu'est la division. ».

    C'est cette petite phrase qui dévoile tout l'homme politique : non, ce n'est pas lui qui a été battu, ce n'est pas lui qui a fait une mauvaise campagne ou qui a été rejeté par les Français ! C'est juste qu'il a raté l'épreuve du concours national. La faute à pas d'chance : on m'a interdit l'Élysée, les vilains à l'administration. Ah si, il y a bien des coupables : la division ! Or, la division avait bon dos : les électeurs de gauche qui ont voté pour Jean-Pierre Chevènement, Noël Mamère, Robert Hue ou Christiane Taubira, de toute façon, au premier tour, si leur candidat ne s'était pas présenté, ils se seraient abstenus, car Lionel Jospin a été incapable de mobiliser tout son électorat traditionnel. Donc, il a échoué, lui personnellement, mais pour lui, ce ne serait pas à cause de lui, toujours la faute des autres !

    François Hollande a été élu par défaut sur les décombres de l'antisarkozysme primaire poussé par un François Bayrou complètement déboussolé. Mais la gauche, depuis 2002, est victime de cette absence d'analyse sur les causes réelles et profondes de l'échec de Lionel Jospin. Car la division n'est pas la cause de l'échec mais une conséquence, un signe avant-coureur de cause bien plus profonde : l'incapacité de la gauche à écouter le peuple dans ses inquiétudes, notamment sur la sécurité, en lui disant qu'il se trompait, qu'il n'y avait pas de problème, et le FN/RN a beaucoup fleuri sur cette incompréhension de la gauche. Lionel Jospin est tenté de réduire toutes ses analyses politiques à de la cuisine politicienne, mais une campagne présidentielle, ce n'est pas les autres candidats, c'est avant tout un dialogue entre le candidat et le peuple. Et le courant, c'est le moins qu'on puisse dire, n'a pas eu lieu.

    Cette cuisine politicienne, Lionel Jospin l'adore encore malgré son âge. En effet, il prétend se rassurer sur l'hégémonie de FI en regardant les investitures négociées avec le NFP dont il est un ferme partisan : « Alors que LFI avait 328 candidats en 2022, il en a maintenant 229. Alors que le parti socialiste en avait 70 en 2022, il en a 175. Et les écologistes baissant un peu et les communistes gardant le même score. Et donc, je vous rappelle que l'ensemble PC, PS, écologistes, Place publique... euh, qui sont assez proches au fond, qui étaient dans une évolution que le Président de la République a brisée par cette dissolution, représenteront 297 candidats dans ces élections contre 229 pour la France insoumise. ».

     

     
     


    Là encore, on voit bien que Lionel Jospin a dit que toute la gauche sauf FI a été stoppée dans leur unification (ah bon ? Pas si l'on regarde les listes multiples aux élections européennes !), c'est à cause d'Emmanuel Macron, bien sûr, ce n'est jamais à cause de lui, c'est toujours à cause des autres. De plus, le décompte de marchand de tapis des investitures ne vaut pas grand-chose. Évidemment, ce ne sont pas les investitures qu'il faut appréhender, mais celles sur des circonscriptions gagnables par le NFP, et ce n'est certainement pas proportionnel. Et en faisant les décomptes, 297/229, cela signifie que FI a de grandes chances de dominer la future gauche car beaucoup de circonscriptions imprenables ont été abandonnées par FI.

    En revanche, à la question : on n'a pas encore essayé l'extrême droite, que dites-vous de cela ? Lionel Jospin a un réponse assez pertinente : « L'extrême droite, si elle n'a pas encore été essayée en France, et c'est quand même caractéristique, si vous voulez, que ça n'appartiennent pas à l'identité de la République, ça a été essayé ailleurs. Et quand ça a été essayé ailleurs, ça a nourri souvent de terribles drames. (…) Les Français jamais n'ont porté l'extrême droite au pouvoir pendant toute l'histoire de la République. ».


    Il a également remis à sa place Nicolas Sarkozy : « Pour être un républicain, il faut partager les valeurs de la République, et notamment dire liberté, égalité, fraternité, et non pas identité, sécurité et... autorité ! ».

    Quant au programme du NFP, Lionel Jospin ne s'en est pas caché : il est absolument déraisonnable, mais pour lui, ça ne compte pas, l'idée est d'avoir le plus d'élus possible et puis après, on verra bien. Quelle piètre conception de l'engagement politique et du respect des électeurs : « Ce qui est important pour moi, c'est que les partis de ce regroupement, nouveau front populaire, aient une place importante au Parlement demain. Seront-ils en mesure, les Français leur feront-ils confiance pour remporter une victoire ? Je ne sais pas (…). Mais en tout état de cause, compte tenu de la situation du pays, il est clair que, dans cette hypothèse où ce rassemblement de gauche serait au pouvoir ou proche du pouvoir, eh bien, il faudrait que soient aux postes principaux choisies des personnalités capables de maîtriser et d'opérer une synthèse ! ». Une synthèse ! Comme si le Parlement était un comité directeur du parti socialiste des années 1970 !

    Dans cette dernière réflexion, il y a à la fois de la rêverie utopique (Jean-Luc Mélenchon laissant la gauche de gouvernement tranquillement gouverner en cas de majorité) et du mépris des Français (le programme, on s'en moque, il est pour une « inflexion »).


    De cette interview, il en ressort que Lionel Jospin, décidément, n'a pas encore compris son échec personnel du 21 avril 2002. Et s'il critique la dissolution de l'Assemblée Nationale, lui serait bien d'avis qu'il faudrait plutôt dissoudre le peuple, en tout cas, celui qui n'a pas voté pour lui. Celui de 2002. Et peut-être aussi celui de 2024, tant qu'on y est.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (17 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.







    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240617-jospin.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/legislatives-2024-5-le-trouble-de-255287

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/17/article-sr-20240617-jospin.html




     

  • François Fillon réagit à la dissolution dans "Le Figaro" (18 juin 2024)

    « Moi, j'ai confiance dans le peuple ! C'est le geste le plus démocratique et républicain qu'il soit, celui que j'ai fait. C'est de dire à vous toutes et tous : il y a une colère qui s'exprime, moi, je l'entends. Et je vous dis, quel que soit le résultat, de toute façon, il y aura un jour d'après. (…) Moi, j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes et qui, comme vous, ne veut pas que ce soit le désordre. » (Emmanuel Macron, le 18 juin 2024 après la commémoration de l'Appel du 18 Juin).





     

     
     

    J'ai écrit que la dissolution de l'Assemblée Nationale et la campagne éclair des élections législatives faisaient ressortir les vieux dinosaures de la vie politique. C'est le cas de François Hollande (qui se présente dans une coalition de gouvernement avec le NPA et FI !), c'est aussi le cas de Lionel Jospin qui, tous les deux, aveuglés par la peur d'un gouvernement RN, sont prêts à s'allier avec ce qu'il y a de plus abject à l'extrême gauche (l'histoire le rappellera un jour très sévèrement). C'est le cas aussi de Manuel Valls qui, au nom de la même gauche que celle des deux précédents (Manuel Valls était le conseiller à Matignon de Lionel Jospin et le Premier Ministre de François Hollande), a condamné avec force la nouvelle farce populaire autant que l'extrême droite pour soutenir le camp présidentiel.

    Mais c'est bien sûr aussi le cas à droite et au centre droite. Du trio des ténors de l'UMP puis de LR qui ont dominé la droite républicaine pendant deux décennies, seul Alain Juppé est soumis à son obligation de réserve en raison de son appartenance au Conseil Constitutionnel (qui statue sur la régularité des élections législatives), mais les deux autres ont réagi aux événements politiques accélérés de ces derniers jours, l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy le 15 juin 2024 dans une interview au "Journal du dimanche" (interrogé par Geoffroy Lejeune et Antonin André), et l'ancien Premier Ministre François Fillon, qui avait pourtant tourné la page de la politique, le 18 juin 2024 dans une tribune au journal "Le Figaro". Ces deux ténors majeurs de LR ne disent d'ailleurs pas tout à fait la même chose.

     
     


    Pour les deux, comme pour Lionel Jospin et comme pour beaucoup de Français, il y a une incompréhension de cette dissolution. L'effet d'une douche froide. Mais après tout, De Gaulle avait fait la même chose deux fois en dix ans. Lire à la fin de l'article la justification présidentielle.
     

     
     


    Nicolas Sarkozy ne comprend pas cet appel aux urnes quelques heures seulement après les élections européennes qui étaient déjà une écoute du peuple : « Donner la parole au peuple français pour justifier la dissolution est un argument curieux puisque c’est précisément ce que venaient de faire plus de 25 millions de Français dans les urnes ! On donne la parole aux Français quand ils ne se sont pas exprimés depuis plusieurs années, pas juste après une consultation électorale. ».

    Et d'ajouter qu'il est peu probable que les Français ne disent pas la même chose en trois semaines d'intervalle : « Le risque est plus grand qu’ils confirment leur colère plutôt qu’ils ne l’infirment. ». Mais cela n'a pas beaucoup de sens de commenter la pertinence de la dissolution, car elle s'impose à tous.


    D'où cette sentence contre la décision présidentielle : « Cette dissolution constitue un risque majeur. Pour le pays, déjà fracturé, parce que cela peut le replonger dans un chaos. Et pour le Président, à qui il restait trois ans de mandat, et dont j'aurais préféré qu'il les utilisât pour accomplir ce que les Français souhaitent. ». Ces propos sont un tantinet démagogiques, mais il faut remarquer l'emploi de l'imparfait du subjonctif, très rare dans la classe politique et chasse généralement gardée de Raymond Barre et de Jean-Marie Le Pen).

    L'ancien Président de la République a notamment regretté de ne pas avoir assez influencé Emmanuel Macron sur les thèmes de la droite nationale : « C'est le plus important, je n'ai pas réussi à le convaincre que la matrice politique de la France s'incarnait dans ces trois mots : identité, sécurité, autorité. ». Ce à quoi Lionel Jospin a répondu : « Liberté, égalité fraternité » !

     

     
     


    Sur l'éviction du président de LR Éric Ciotti, Nicolas Sarkozy ne partage pas son point de vue d'une alliance LR-RN parce qu'il considère que cela serait suicidaire pour LR dans la situation actuelle. Il s'est opposé à la fois sur le fond (pas d'alliance avec le RN) et sur la forme (il n'avait pas à prendre la décision arbitrairement tout seul) : « Je suis attaché à mes convictions. Je ne partage pas les siennes, mais pourquoi ne pourrait-il les défendre ? En revanche, il a eu le tort de trancher un débat avant qu'il ait pu prospérer. ». Du reste, des personnalités comme Gérard Larcher et Bruno Retailleau se sont senties trahies personnellement par Éric Ciotti alors qu'ils l'avaient eu au téléphone très peu de temps avant sa déclaration d'alliance.

    Pour autant, Nicolas Sarkozy rejette toute diabolisation du RN car cela ferait son jeu. Il faut le combattre politiquement, pour les mesures qu'il défend, et pas moralement : « Le RN a fait un travail sur lui-même qui est indéniable. Combattre le Rassemblement national comme s'il n'avait pas changé, comme s'il y avait toujours le Jean-Marie Le Pen "du détail", serait une erreur grossière... ».


    En revanche, l'ancien locataire de l'Élysée veut diaboliser la nouvelle farce populaire avec ses partis extrémistes : « LFI par son communautarisme, ses propos aux limites de l'antisémitisme, son engagement militant auprès du Hamas, est beaucoup plus problématique aux regards des règles républicaines que le risque fantasmé de peste brune. ». Ainsi, entre la peste RN et le choléra NFP, il a probablement déjà choisi même s'il ne le dit pas explicitement.

    Quant à l'union des gauches, Nicolas Sarkozy l'a toujours envisagée et c'est probablement l'erreur politique d'Emmanuel Macron, elle s'est faite en juin 2022 malgré plusieurs candidats à l'élection présidentielle. Et il a rappelé : « Je n'ai jamais douté que la gauche referait son unité. Déjà en 2012, Jean-Luc Mélenchon s'était précipité dans les bras de François Hollande en dix minutes. Parce que quand le pouvoir est à portée de main, la gauche se rassemble. ».

    Nicolas Sarkozy s'est fait également directeur des ressources humaines et a commenté l'ambition démesurée de Jordan Bardella : « [Il] a du talent (…). Il lui reste, et c'est une grande question, à combler un manque d'expérience puisqu'il n'a jamais été en situation de gérer quoi que ce soit, et qu'il a moins de 30 ans. ».

    Lui qui avait tenté de convaincre Emmanuel Macron de faire un véritable contrat de gouvernement entre LR et la majorité présidentielle en 2022, il reste donc sur une position intenable : ni NFP, ni RN, ni Macron. Aujourd'hui, LR n'existe plus parce que ce parti a implosé par le ciottisme. Il lui faudra effectivement choisir entre ces trois "blocs" (terme que je n'aime pas du tout car cela fait comme si on bétonnait la vie politique, même s'il y a une belle référence historique avec le Bloc national de Clemenceau en novembre 1919).

     

     
     


    Parlons maintenant de la tribune de François Fillon. La position de l'ancien candidat à l'élection présidentielle de 2017 est un peu différente même s'il rejette à la fois le RN et le NFP. Lui-même au soir du premier tour de l'élection présidentielle de 2017 avait été très clair : il avait appelé sans hésitation à soutenir Emmanuel Macron au second tour pour empêcher l'éventualité de l'élection de Marine Le Pen (beaucoup au sein de LR avaient été bien moins clairs à l'époque).

    Toutefois, il faut aussi se souvenir qu'Éric Ciotti est un bon ami de François Fillon. Dans sa querelle fratricide contre Jean-François Copé au sein de l'UMP en 2012-2013, François Fillon avait pu compter sur le soutien indéfectible d'Éric Ciotti.

    Comme pour l'ancien chef de l'État, l'ancien Premier Ministre a d'abord sérieusement attaqué l'alliance à gauche : « Le nouveau programme commun de la gauche fait apparaître celui de 1981 comme une bluette social-démocrate. Le comportement de LFI depuis son irruption à l'Assemblée est incompatible avec notre pacte républicain. ».

     

     
     


    Mais il a aussi critiqué très vertement les idées du RN : « Je persiste à penser que l'extrême droit, malgré sa mue, n'est pas en mesure de redresser notre pays. Mais, pire encore, l'extrême gauche qui menace l'unité nationale doit être implacablement sanctionnée par les urnes. ». Le "pire encore" donne une idée de sa position s'il devait choisir entre les deux extrémismes.

    Enfin, troisième pôle de refus politique, ne pas se soumettre à Emmanuel Macron : « Il faudra beaucoup d'efforts au chef de l'État pour éteindre le feu électoral qu'il a sciemment allumé. ». Toute l'opposition à Emmanuel Macron réside dans ce "sciemment".

    Faut-il retourner aux sources de la Cinquième République ? Je rappelle donc qu'après la décision de dissoudre l'Assemblée prise par De Gaulle le 9 octobre 1962 (à la suite de l'adoption d'une motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou), la plupart des députés gaullistes étaient sidérés et considéraient cette initiative de la dissolution comme un suicide collectif (on parle aussi de suicide politique pour le référendum du 27 avril 1969). Les ministres sortants se préparaient à la défaite électorale, retrouvaient un emploi à leurs conseillers et se disaient que c'était déjà pas mal d'avoir gouverné quatre ans en résistance au régime des partis.

     
     


    La réponse d'Emmanuel Macron est très claire, puisque beaucoup de Français l'ont interrogé sur le sujet. Ainsi, le 18 juin 2024, sur l'île de Sein, il répondait à une dame très inquiète (et pas du tout impressionnée) : « Quelle a été la conviction du Général De Gaulle en 1940, puisque vous faites référence à cette mémoire ? Une confiance dans les Françaises et les Français, forte. Le chaos, il est lié à quoi ? À certains élus de la République qui, chaque semaine, au Parlement, font le désordre et donnent un spectacle qui n'est pas celui que vous voulez et que je ne veux non plus. Vous ne pouvez pas continuer comme ça. Il faut regarder les choses en face. Et qu'il y ait eu un coup de colère, vous savez, je suis le premier à qui ça a fait mal le 9 juin. Les résultats. Je l'ai pris vraiment pour moi, ça m'a fait mal. Et donc, en mon âme et conscience, c'est une des décisions les plus lourdes que j'ai eu à prendre, Madame. Si je pensais à moi, vous savez, je serais resté à mon bureau et j'aurais dit : on va continuer comme si de rien n'était. Mais on doit ouvrir les yeux. On ne peut pas laisser monter les extrêmes et la colère en disant : c'est comme si de rien n'était. Et donc, moi, j'ai confiance dans le peuple ! C'est le geste le plus démocratique et républicain qu'il soit, celui que j'ai fait. C'est de dire à vous toutes et tous : il y a une colère qui s'exprime, moi, je l'entends. Et je vous dis, quel que soit le résultat, de toute façon, il y aura un jour d'après. Sur les sujets de sécurité, de fin de mois, on devra aller beaucoup plus vite et plus fort parce qu'il y a une partie de cette colère qui est liée à cela. Mais je dois redemander un vote de confiance aux Françaises et aux Français. Mais moi j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes et qui, comme vous, ne veut pas que ce soit le désordre. Donc, je ne l'ai pas fait pour moi, je ne l'ai pas fait sur un coup de sang, ce n'est pas un coup de dés, c'est un geste de confiance républicain. On ne peut pas craindre le peuple dans une démocratie. (…) Mais pourquoi vous voudriez qu'il y ait le chaos ? Il y a le chaos quand les choses se bloquent. On a connu tous ensemble les gilets jaunes, et on l'a connu pourquoi ? Parce que les gens n'adhéraient plus aux réformes, la vie était dure. Il y a quelque chose qui a émergé, d'ailleurs qu'on a eu du mal à anticiper, il a fallu le régler, ça a mis quelques mois. Mais pour les élections, ce n'est pas le chaos, c'est la démocratie. Et donc, elle suppose le respect. Encore une fois, moi, j'ai confiance en l'intelligence des Françaises et des Français. ».

    Cet esprit de la pratique des institutions, c'est celui de De Gaulle en 1962, en 1968 et en 1969, c'est aussi celui de François Mitterrand en 1992 et c'est celui de Jacques Chirac en 2005. Aller aux urnes pour écouter le peuple, même quand le peuple est en colère, surtout quand le peuple est en colère. Au moins, on ne pourra pas le reprocher à Emmanuel Macron. Il ne reste plus qu'à mobiliser la "majorité silencieuse" ! Vaste affaire en si peu de temps.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

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    Nicolas Sarkozy.
    François Fillon.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
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  • Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls

    « Je vous le dis très sincèrement (…). Moi, ça m'angoisse. Je pense ne jamais avoir été aussi inquiet, comme citoyen, par rapport (…) au futur de mon pays. » (Manuel Valls, le 15 juin 2024 sur LCI).



     

     
     


    L'ancien Premier Ministre Manuel Valls était l'invité de Darius Rochebin le samedi 15 juin 2024 vers 20 heures 30 sur LCI. Il était venu exprimer son inquiétude et son incompréhension, en particulier sur la candidature de l'ancien Président François Hollande en Corrèze sous les couleurs de la nouvelle farce populaire (NFP). Manuel Valls ne comprends notamment pas que François Hollande puisse se présenter sous les couleurs d'une coalition gouvernementale qui abrite également FI et le NPA !

    Cette annonce faite samedi de François Hollande est très étonnante d'ailleurs à plus d'un titre. D'une part, comme déjà écrit, il se couche politiquement devant Jean-Luc Mélenchon qui, qu'on le veuille ou pas, dominera le prochain ensemble des députés NFP car FI a le plus d'investitures. D'autre part, François Hollande est loin d'être certain d'être élu malgré son passé de député de la Corrèze, de maire de Tulle et de président du conseil général de Corrèze. En effet, la circonscription a voté aux européennes 31,6% pour le RN, 15,8% pour le PS et 11,2% pour Ensemble (liste Hayer). En outre le député sortant LR se représente. Même sans concurrent Ensemble, le clivage risque de se faire entre LR et RN en excluant du jeu l'ancien Président de la République. Et pourtant, François Hollande convoiterait-il secrètement Matignon le 8 juillet ?

     

     
     


    Mais revenons à son ancien Premier Ministre. C'est vrai que Manuel Valls jouit d'une très forte impopularité en France, certainement justifiée en partie par ses allées et venues électoralistes entre la France et la Catalogne, mais aussi par ses incessantes offres de service sans suite depuis 2017. On ne pourra pas dire cependant que l'ancien candidat à la primaire socialiste de 2017 est un arriviste, car en juin 2024, au contraire de juin 2022, il n'est pas candidat aux élections législatives (en 2022, il avait été battu dès le premier tour). Il n'a donc aucun intérêt personnel dans le scrutin et ne peut rien espérer ni d'une victoire du parti du Président Emmanuel Macron qui l'a toujours ignoré, ni d'une victoire du NFP qui le déteste, ni une victoire du RN considéré comme son principal adversaire lorsqu'il était à Matignon. Ce qui lui donne plus de liberté et surtout, plus de sincérité.

    Surpris et inquiet, Manuel Valls a déclaré que la dissolution était très dangereuse : « Elle plonge le pays dans une très grande incertitude. Elle peut amener le pays dans le précipice, notamment parce que nous voyons bien que s'affrontent deux blocs aujourd'hui, ce qui angoisse d'ailleurs beaucoup de mes compatriotes, le Rassemblement national et le soi-disant front populaire. Donc, oui, c'est un risque bien évidemment, mais le Président de la République a pris cette décision. Maintenant, les électeurs sont convoqués, le peuple va parler. Je suis un républicain, un démocrate, donc il faut convaincre les Français qui sont inquiets, mais (…) ils vont voter massivement à l'occasion de ces élections législatives, contrairement à ce qui s'est passé depuis vingt ans. ».

    Il n'était du reste pas tendre avec Emmanuel Macron à qui il a reproché de ne pas avoir créé les conditions d'une coalition au sein de l'Assemblée Nationale : « Plonger le pays dans une crise politique majeure, c'est évidemment prendre un risque. Nous sommes dans un moment périlleux. ».

     

     
     


    En revanche, il a reconnu un certain mérite à Jordan Bardella : « C'est difficile de nier que Jordan Bardella, qui a 28 ans, est un "phénomène" politique, et pas que sur TikTok. Je ne vais pas dire le contraire. ».

    Pour Manuel Valls, la situation qui conduirait à avoir surtout des duels de second tour, dans les circonscriptions, entre le RN et le NFP, serait très favorable à une victoire du RN : « Une majorité très grande de duels au second tour entre le RN et le NFP, notamment avec des candidats de FI : ce scénario est évidemment un scénario gagnant parce qu'une partie de l'électorat de droite, et les dirigeants de la droite, des dirigeants comme Bellamy ou d'autres, appelleraient à voter pour le RN. Alors, là, oui, dans ce scénario. C'est pour ça que c'est très important que les candidats républicains, du centre gauche, du centre droit, les modérés, ceux qui ont une vision de l'économie, de l'ordre, de l'Ukraine, qui partagent les mêmes combats contre l'antisémitisme, puissent se retrouver, et c'est à ce sursaut-là que j'appelle les Français. ».

    Sur la candidature de François Hollande ? Manuel Valls voulait bien choisir ses mots pour ne pas le blesser, mais il n'a pas pu s'empêcher de parler de mensonge : « Un ancien Président de la République ne devrait pas faire cela. (…) Il se met dans une coalition, dans ce NFP, non seulement avec ceux, en grande partie, qui n'ont cessé de le critiquer et qui sont aussi en partie à l'origine de l'échec collectif de son quinquennat... » mais coupé par Darius Rochebin, il n'a pas fini sa phrase et a ajouté : « C'est incompréhensible ! C'est une aberration ! Cela me révolte, d'une certaine manière, parce qu'il participe, François Hollande, et il le sait, parce que je le sais lucide, à un mensonge. Un mensonge sur le programme économique : que François Hollande défende le retour à la retraite à 60 ans, avec le coût que cela représenterait pour nos finances publiques, n'a véritablement aucun sens ! Que François Hollande défende un projet où on ne parle même pas du nucléaire alors que nous savons que le pays est engagé de nouveau dans cette voie, et tant mieux, c'est important pour notre indépendance énergétique et pour l'emploi. Que François Hollande partage enfin une coalition avec un parti qui a tenu des propos anti-Juifs, antisionistes, anti-Israël, qui envoie des candidats qui ont dit que la police tue, qui se retrouve dans la même formation, dans la même coalition que madame Obono qui disait qu'elle n'était pas Charlie. Il y a quelque chose qui aujourd'hui m'a profondément choqué (…). Monsieur Poutou, le leader du NPA, est le candidat de FI, et donc du NFP, dans l'Aude, dans la circonscription de Trèbes, là où il y a eu un attentat, où le colonel Beltrame a donné sa vie, alors que monsieur Poutou est de ceux qui disent que les forces de l'ordre tuent ou se sont retrouvés manifestants avec des cris contre les Juifs. (…) [François Hollande] participe d'un mensonge et mentir aux Français dans ce moment-là, et participer (…), c'est une erreur, c'est une aberration, ça me choque ! (…) La cohérence, c'est essentiel. ».

     

     
     


    Manuel Valls n'avait pas de mots assez durs à la fois contre les insoumis mais aussi contre ceux qui acceptent de s'allier avec eux : « [Jean-Luc Mélenchon] a soutenu les émeutiers il y a un an. Vous vous rendez compte ? Gouverner avec ceux qui ont soutenu les émeutiers qui s'attaquaient aux commerçants, aux services publics et aux forces de l'ordre il y a un an. (…) Leur stratégie, notamment, de capter le vote de nos compatriotes de confession et d'origine arabo-musulmane a fonctionné dans les quartiers, avec le drapeau palestinien, avec le soutien à ce qui se passe à Gaza, et avec le soutien de fait au Hamas, et avec des gens, le NPA, qui considèrent que le 7 octobre est un acte de résistance. Enfin, vous vous rendez compte de la politique étrangère si c'est gens-là gouvernent demain ensemble ? Vous vous rendez compte le sentiment (…) qu'éprouveraient les compatriotes juifs dans ce pays ? Enfin, réveillez-vous tout de même du côté de la gauche ! Moi, je suis sûr que tous ceux qui ont voté pour Raphaël Glucksmann, qui se sentent aujourd'hui oubliés, qui se sentent orphelins, qui se sentent floués, il y a des millions de gens qui ne se sont pas déplacés, donc, comment pourraient-ils accepter ? (…) Quand on parle de la République, de la lutte contre la haine des Juifs, de la laïcité, ni Mélenchon ni Obono ni Poutou ne partagent (…), là non, cette gauche ne porte pas ces valeurs ! ».

    Malgré cette position très ferme (anti-NFP et anti-RN), Manuel Valls ne paraissait toutefois pas vraiment prêt à soutenir à fond et avec enthousiasme les candidats de la majorité présidentielle. Appelé à commenter les mesures proposées par le Premier Ministre Gabriel Attal et énoncées au journal de 20 heures ce même 15 juin 2024 sur France 2, Manuel Valls semblait craindre une surenchère démagogique : « Il faudra les chiffrer. Elles me paraissent pour la plupart intéressantes, mais je voudrais qu'on regarde le coût. J'ai en tête les mots de Bruno Le Maire il y a quelques semaines sur l'état de nos finances publiques. Ce que je sais à ce stade, c'est le coût du programme du Rassemblement national autour de 100 milliards, celui du NFP entre 200 et 300 milliards, on verra quels sont les modes de financement de ce programme plus raisonnable, ce sont les gens qui ont gouverné jusqu'à maintenant. ».

     

     
     


    Et de rappeler aussi d'autres contraintes que les finances publiques : « On l'oublie. Il y a une guerre à quelques heures d'ici. Tous les budgets de la défense dont le nôtre augmentent. (…) Ce sont des coûts aussi. ».

    D'où l'appel aux bonnes volontés : « C'est le moment de se regrouper, tous ceux qui ont une certaine idée de la responsabilité de notre pays. (…) Je vais me battre, avec d'autres, pour que, dans toutes les circonscriptions, puissent gagner ceux qui partagent cette idée, qu'ils viennent des républicains, de la social-démocratie, du centre, et au deuxième tour, encore davantage. ».

    Entre un candidat RN et un candidat FI, Manuel Valls refuserait de choisir, il voterait blanc, mais il fera tout pour que ce genre de duels soit le moins nombreux possible : « Je ne choisirais pas entre le Rassemblement national et la France insoumise. (…) Pour la France insoumise, non ! Je ne voterais jamais de ma vie pour un parti qui a fait de la haine des Juifs et d'Israël, c'est-à-dire de la haine de la France, parce que ça veut dire ça, son programme ! (…) Pour capter un certain vote, notamment dans les quartiers populaires, et le vote musulman, [Jean-Luc Mélenchon] a fait de la question d'Israël un sujet majeur. (…) Quand on critique Israël avec l'idée de nazifier ce pays, qui commettrait un génocide, mot qu'on a entendu en permanence, on franchit le pas qui est celui de la négation. (…) Quand vous vous alliez à une organisation qui s'appelle le NPA qui considère que le 7 octobre est un acte de résistance, ça salit tout le monde, tous les candidats qui vont à ces élections législatives sous la bannière du NFP. (…) Dans chaque circonscription, il faut qu'il y ait un maximum de députés ni RN ni FI, pour la République. C'est ça, mon engagement ! ».

    Toutes ces déclarations presque passionnées parce qu'inquiètes de Manuel Valls étaient prévisibles et il était sain qu'il s'exprimât ainsi haut et fort. Mais sa valeur ajoutée a été surtout apportée à la fin de son interview, pour répondre finalement à un argument fataliste d'électeurs pas vraiment portés sur le programme du RN mais qui considèrent la victoire de ce parti inéluctable. Certains se disent que sous la cohabitation, ils ne pourraient pas faire tout leur programme et qu'il y aurait la barrière de l'Élysée. Manuel Valls, comme ancien Premir Ministre, a rejeté ce type d'argument et a averti : « Moi, j'ai vécu la cohabitation comme conseiller de Lionel Jospin pendant quatre ans à l'époque, j'étais aussi chef du gouvernement, et le Président Hollande a pleinement respecté les prérogatives du chef du gouvernement. (…) Je vous réponds très franchement : le pouvoir sur les grandes questions intérieures, nationales, est à Matignon et à l'Assemblée. Donc, là, les choses sont très claires. ».

    Ce que veut donc faire comprendre Manuel Valls, c'est que voter pour le NFP, c'est pousser la France dans les mains du RN et ce parti aura tout le pouvoir pour mettre en application son sinistre programme (sinistre pour la France). Quant à l'argument martelé ad nauseam, du : on-n'a-pas-encore-essayé, Simone Rodan-Benzaquen a tweeté, le 15 juin 2024, pour faire remarquer : « "On n'a pas essayé" n'est pas un bon argument ! Sinon j'espère pour vous que vous n'avez pas essayé de : manger de l'arsenic ; faire un feu de camp dans votre maison ; vous balader à pied sur une autoroute ; sauter d'un avion sans parachute ; prendre à main nue une ligne à haute tension, etc. »...



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    Sylvain Rakotoarison (16 juin 2024)
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    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
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    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/16/article-sr-20240615-valls.html






     

  • Nicolas Sarkozy réagit à la dissolution dans le JDD (15 juin 2024)

    « Moi, j'ai confiance dans le peuple ! C'est le geste le plus démocratique et républicain qu'il soit, celui que j'ai fait. C'est de dire à vous toutes et tous : il y a une colère qui s'exprime, moi, je l'entends. Et je vous dis, quel que soit le résultat, de toute façon, il y aura un jour d'après. (…) Moi, j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes et qui, comme vous, ne veut pas que ce soit le désordre. » (Emmanuel Macron, le 18 juin 2024 après la commémoration de l'Appel du 18 Juin).





     

     
     

    J'ai écrit que la dissolution de l'Assemblée Nationale et la campagne éclair des élections législatives faisaient ressortir les vieux dinosaures de la vie politique. C'est le cas de François Hollande (qui se présente dans une coalition de gouvernement avec le NPA et FI !), c'est aussi le cas de Lionel Jospin qui, tous les deux, aveuglés par la peur d'un gouvernement RN, sont prêts à s'allier avec ce qu'il y a de plus abject à l'extrême gauche (l'histoire le rappellera un jour très sévèrement). C'est le cas aussi de Manuel Valls qui, au nom de la même gauche que celle des deux précédents (Manuel Valls était le conseiller à Matignon de Lionel Jospin et le Premier Ministre de François Hollande), a condamné avec force la nouvelle farce populaire autant que l'extrême droite pour soutenir le camp présidentiel.

    Mais c'est bien sûr aussi le cas à droite et au centre droite. Du trio des ténors de l'UMP puis de LR qui ont dominé la droite républicaine pendant deux décennies, seul Alain Juppé est soumis à son obligation de réserve en raison de son appartenance au Conseil Constitutionnel (qui statue sur la régularité des élections législatives), mais les deux autres ont réagi aux événements politiques accélérés de ces derniers jours, l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy le 15 juin 2024 dans une interview au "Journal du dimanche" (interrogé par Geoffroy Lejeune et Antonin André), et l'ancien Premier Ministre François Fillon, qui avait pourtant tourné la page de la politique, le 18 juin 2024 dans une tribune au journal "Le Figaro". Ces deux ténors majeurs de LR ne disent d'ailleurs pas tout à fait la même chose.

     
     


    Pour les deux, comme pour Lionel Jospin et comme pour beaucoup de Français, il y a une incompréhension de cette dissolution. L'effet d'une douche froide. Mais après tout, De Gaulle avait fait la même chose deux fois en dix ans. Lire à la fin de l'article la justification présidentielle.
     

     
     


    Nicolas Sarkozy ne comprend pas cet appel aux urnes quelques heures seulement après les élections européennes qui étaient déjà une écoute du peuple : « Donner la parole au peuple français pour justifier la dissolution est un argument curieux puisque c’est précisément ce que venaient de faire plus de 25 millions de Français dans les urnes ! On donne la parole aux Français quand ils ne se sont pas exprimés depuis plusieurs années, pas juste après une consultation électorale. ».

    Et d'ajouter qu'il est peu probable que les Français ne disent pas la même chose en trois semaines d'intervalle : « Le risque est plus grand qu’ils confirment leur colère plutôt qu’ils ne l’infirment. ». Mais cela n'a pas beaucoup de sens de commenter la pertinence de la dissolution, car elle s'impose à tous.


    D'où cette sentence contre la décision présidentielle : « Cette dissolution constitue un risque majeur. Pour le pays, déjà fracturé, parce que cela peut le replonger dans un chaos. Et pour le Président, à qui il restait trois ans de mandat, et dont j'aurais préféré qu'il les utilisât pour accomplir ce que les Français souhaitent. ». Ces propos sont un tantinet démagogiques, mais il faut remarquer l'emploi de l'imparfait du subjonctif, très rare dans la classe politique et chasse généralement gardée de Raymond Barre et de Jean-Marie Le Pen).

    L'ancien Président de la République a notamment regretté de ne pas avoir assez influencé Emmanuel Macron sur les thèmes de la droite nationale : « C'est le plus important, je n'ai pas réussi à le convaincre que la matrice politique de la France s'incarnait dans ces trois mots : identité, sécurité, autorité. ». Ce à quoi Lionel Jospin a répondu : « Liberté, égalité fraternité » !

     

     
     


    Sur l'éviction du président de LR Éric Ciotti, Nicolas Sarkozy ne partage pas son point de vue d'une alliance LR-RN parce qu'il considère que cela serait suicidaire pour LR dans la situation actuelle. Il s'est opposé à la fois sur le fond (pas d'alliance avec le RN) et sur la forme (il n'avait pas à prendre la décision arbitrairement tout seul) : « Je suis attaché à mes convictions. Je ne partage pas les siennes, mais pourquoi ne pourrait-il les défendre ? En revanche, il a eu le tort de trancher un débat avant qu'il ait pu prospérer. ». Du reste, des personnalités comme Gérard Larcher et Bruno Retailleau se sont senties trahies personnellement par Éric Ciotti alors qu'ils l'avaient eu au téléphone très peu de temps avant sa déclaration d'alliance.

    Pour autant, Nicolas Sarkozy rejette toute diabolisation du RN car cela ferait son jeu. Il faut le combattre politiquement, pour les mesures qu'il défend, et pas moralement : « Le RN a fait un travail sur lui-même qui est indéniable. Combattre le Rassemblement national comme s'il n'avait pas changé, comme s'il y avait toujours le Jean-Marie Le Pen "du détail", serait une erreur grossière... ».


    En revanche, l'ancien locataire de l'Élysée veut diaboliser la nouvelle farce populaire avec ses partis extrémistes : « LFI par son communautarisme, ses propos aux limites de l'antisémitisme, son engagement militant auprès du Hamas, est beaucoup plus problématique aux regards des règles républicaines que le risque fantasmé de peste brune. ». Ainsi, entre la peste RN et le choléra NFP, il a probablement déjà choisi même s'il ne le dit pas explicitement.

    Quant à l'union des gauches, Nicolas Sarkozy l'a toujours envisagée et c'est probablement l'erreur politique d'Emmanuel Macron, elle s'est faite en juin 2022 malgré plusieurs candidats à l'élection présidentielle. Et il a rappelé : « Je n'ai jamais douté que la gauche referait son unité. Déjà en 2012, Jean-Luc Mélenchon s'était précipité dans les bras de François Hollande en dix minutes. Parce que quand le pouvoir est à portée de main, la gauche se rassemble. ».

    Nicolas Sarkozy s'est fait également directeur des ressources humaines et a commenté l'ambition démesurée de Jordan Bardella : « [Il] a du talent (…). Il lui reste, et c'est une grande question, à combler un manque d'expérience puisqu'il n'a jamais été en situation de gérer quoi que ce soit, et qu'il a moins de 30 ans. ».

    Lui qui avait tenté de convaincre Emmanuel Macron de faire un véritable contrat de gouvernement entre LR et la majorité présidentielle en 2022, il reste donc sur une position intenable : ni NFP, ni RN, ni Macron. Aujourd'hui, LR n'existe plus parce que ce parti a implosé par le ciottisme. Il lui faudra effectivement choisir entre ces trois "blocs" (terme que je n'aime pas du tout car cela fait comme si on bétonnait la vie politique, même s'il y a une belle référence historique avec le Bloc national de Clemenceau en novembre 1919).

     
     


    Parlons maintenant de la tribune de François Fillon. La position de l'ancien candidat à l'élection présidentielle de 2017 est un peu différente même s'il rejette à la fois le RN et le NFP. Lui-même au soir du premier tour de l'élection présidentielle de 2017 avait été très clair : il avait appelé sans hésitation à soutenir Emmanuel Macron au second tour pour empêcher l'éventualité de l'élection de Marine Le Pen (beaucoup au sein de LR avaient été bien moins clairs à l'époque).

    Toutefois, il faut aussi se souvenir qu'Éric Ciotti est un bon ami de François Fillon. Dans sa querelle fratricide contre Jean-François Copé au sein de l'UMP en 2012-2013, François Fillon avait pu compter sur le soutien indéfectible d'Éric Ciotti.

    Comme pour l'ancien chef de l'État, l'ancien Premier Ministre a d'abord sérieusement attaqué l'alliance à gauche : « Le nouveau programme commun de la gauche fait apparaître celui de 1981 comme une bluette social-démocrate. Le comportement de LFI depuis son irruption à l'Assemblée est incompatible avec notre pacte républicain. ».

     

     
     


    Mais il a aussi critiqué très vertement les idées du RN : « Je persiste à penser que l'extrême droit, malgré sa mue, n'est pas en mesure de redresser notre pays. Mais, pire encore, l'extrême gauche qui menace l'unité nationale doit être implacablement sanctionnée par les urnes. ». Le "pire encore" donne une idée de sa position s'il devait choisir entre les deux extrémismes.

    Enfin, troisième pôle de refus politique, ne pas se soumettre à Emmanuel Macron : « Il faudra beaucoup d'efforts au chef de l'État pour éteindre le feu électoral qu'il a sciemment allumé. ». Toute l'opposition à Emmanuel Macron réside dans ce "sciemment".

    Faut-il retourner aux sources de la Cinquième République ? Je rappelle donc qu'après la décision de dissoudre l'Assemblée prise par De Gaulle le 9 octobre 1962 (à la suite de l'adoption d'une motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou), la plupart des députés gaullistes étaient sidérés et considéraient cette initiative de la dissolution comme un suicide collectif (on parle aussi de suicide politique pour le référendum du 27 avril 1969). Les ministres sortants se préparaient à la défaite électorale, retrouvaient un emploi à leurs conseillers et se disaient que c'était déjà pas mal d'avoir gouverné quatre ans en résistance au régime des partis.
     

     
     


    La réponse d'Emmanuel Macron est très claire, puisque beaucoup de Français l'ont interrogé sur le sujet. Ainsi, le 18 juin 2024, sur l'île de Sein, il répondait à une dame très inquiète (et pas du tout impressionnée) : « Quelle a été la conviction du Général De Gaulle en 1940, puisque vous faites référence à cette mémoire ? Une confiance dans les Françaises et les Français, forte. Le chaos, il est lié à quoi ? À certains élus de la République qui, chaque semaine, au Parlement, font le désordre et donnent un spectacle qui n'est pas celui que vous voulez et que je ne veux non plus. Vous ne pouvez pas continuer comme ça. Il faut regarder les choses en face. Et qu'il y ait eu un coup de colère, vous savez, je suis le premier à qui ça a fait mal le 9 juin. Les résultats. Je l'ai pris vraiment pour moi, ça m'a fait mal. Et donc, en mon âme et conscience, c'est une des décisions les plus lourdes que j'ai eu à prendre, Madame. Si je pensais à moi, vous savez, je serais resté à mon bureau et j'aurais dit : on va continuer comme si de rien n'était. Mais on doit ouvrir les yeux. On ne peut pas laisser monter les extrêmes et la colère en disant : c'est comme si de rien n'était. Et donc, moi, j'ai confiance dans le peuple ! C'est le geste le plus démocratique et républicain qu'il soit, celui que j'ai fait. C'est de dire à vous toutes et tous : il y a une colère qui s'exprime, moi, je l'entends. Et je vous dis, quel que soit le résultat, de toute façon, il y aura un jour d'après. Sur les sujets de sécurité, de fin de mois, on devra aller beaucoup plus vite et plus fort parce qu'il y a une partie de cette colère qui est liée à cela. Mais je dois redemander un vote de confiance aux Françaises et aux Français. Mais moi j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes et qui, comme vous, ne veut pas que ce soit le désordre. Donc, je ne l'ai pas fait pour moi, je ne l'ai pas fait sur un coup de sang, ce n'est pas un coup de dés, c'est un geste de confiance républicain. On ne peut pas craindre le peuple dans une démocratie. (…) Mais pourquoi vous voudriez qu'il y ait le chaos ? Il y a le chaos quand les choses se bloquent. On a connu tous ensemble les gilets jaunes, et on l'a connu pourquoi ? Parce que les gens n'adhéraient plus aux réformes, la vie était dure. Il y a quelque chose qui a émergé, d'ailleurs qu'on a eu du mal à anticiper, il a fallu le régler, ça a mis quelques mois. Mais pour les élections, ce n'est pas le chaos, c'est la démocratie. Et donc, elle suppose le respect. Encore une fois, moi, j'ai confiance en l'intelligence des Françaises et des Français. ».

    Cet esprit de la pratique des institutions, c'est celui de De Gaulle en 1962, en 1968 et en 1969, c'est aussi celui de François Mitterrand en 1992 et c'est celui de Jacques Chirac en 2005. Aller aux urnes pour écouter le peuple, même quand le peuple est en colère, surtout quand le peuple est en colère. Au moins, on ne pourra pas le reprocher à Emmanuel Macron. Il ne reste plus qu'à mobiliser la "majorité silencieuse" ! Vaste affaire en si peu de temps.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 juin 2024)
    http://www.rakotoarison.eu

    Pour aller plus loin :
    Nicolas Sarkozy.
    François Fillon.
    Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
    Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
    Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
    Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
    Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
    Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
    Sidération institutionnelle.
    Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
    Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.

     

     
     




    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240615-sarkozy.html

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/06/16/article-sr-20240615-sarkozy.html




     

  • François Fillon définitivement condamné

    « (…) Par ces motifs (…), la Cour, sur le pourvoi formé par M. I, le rejette ; sur les pourvois formés par M. et Mme N, casse et annule l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 mai 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées (…). » (Arrêt de la Cour de Cassation du 24 avril 2024).



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    C'est toujours étrange de s'apercevoir que la conclusion d'une affaire politico-judiciaire qui a hanté toute la campagne présidentielle de 2017, matin midi et soir, est si peu médiatisée sept ans plus tard, quand plus aucun enjeu électoral n'est en cours. Par son arrêt n°22-83.466 FS-B N°00382 MAS2, la Cour de Cassation a en effet confirmé le mercredi 24 avril 2024 la décision de la cour d'appel de Paris du 9 mai 2022 sur la culpabilité de François Fillon, de son épouse et de son suppléant, dans son affaire mettant en cause l'emploi de collaboratrice parlementaire de son épouse, en particulier sa condamnation pour détournement de fonds publics et complicité. Par conséquent, la condamnation de François Fillon est définitive.

    Rappelons que la chambre 2-12 de la cour d'appel de Paris a condamné le 9 mai 2022 : François Fillon « pour détournement de fonds publics et complicité, complicité d’abus de biens sociaux, recels, à quatre ans d’emprisonnement dont trois ans avec sursis, 375 000 euros d’amende et dix ans d’inéligibilité » ; son suppléant « pour détournement de fonds publics à trois ans d’emprisonnement avec sursis et cinq ans d’inéligibilité » ; et son épouse « pour complicité de détournements de fonds publics, complicité d’abus de biens sociaux, recels, à deux ans d’emprisonnement avec sursis, 375 000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité ».

    Avant de poursuivre sur le plan juridique (et judiciaire), je me permets un petit commentaire politique. En tant qu'électeur de François Fillon au premier tour de l'élection présidentielle de 2017, j'ai trouvé assez peu sain dans une démocratie que la justice soit allée aussi rapidement dans la mise en examen d'un grand candidat à l'élection présidentielle (initialement le favori, même), après seulement quelques scoops dans la presse à sensation. On pourra me répondre aujourd'hui que la justice avait raison puisque la condamnation est désormais définitive.


    Je respecte bien entendu la justice de mon pays, mais je reste toujours dubitatif sur une possible politisation de la justice (dont je n'accuse absolument pas le principal bénéficiaire, à savoir Emmanuel Macron qui a profité surtout d'un contexte très favorable à plusieurs titres). Au cours de mon engagement politique qui remonte à il y a plus de trente ans, j'ai eu l'occasion de voir des "pratiques", aujourd'hui révolues, qui étaient bien plus scandaleuses que ce qui a condamné François Fillon. L'un des défauts structurels pendant longtemps a été que le parlementaire était le propre employeur de ses collaborateurs. En d'autres termes, le parlementaire recevait l'argent d'une enveloppe globale concernant le salaire de ses collaborateurs... et il en faisait ce qu'il voulait. Heureusement, cela a évolué et cela passe maintenant par une structure tiers, son assemblée d'origine. Le parlementaire doit agir dans la plus grande liberté et sans pression, mais cela n'empêche pas qu'il doit rester honnête (c'est d'ailleurs le minimum qu'on peut demander à celui qui fait la loi, celui de l'appliquer).

    La justice n'a pas condamné François Fillon d'avoir recruté son épouse comme collaboratrice parlementaire car ce n'était pas interdit à l'époque (maintenant, si), mais parce que ladite collaboratrice n'aurait rien fait malgré sa rémunération. Comme elle a travaillé jusqu'en 2013, il est toujours difficile de montrer qu'elle a travaillé ou même qu'elle n'a pas travaillé. Beaucoup de documents peuvent avoir été jetés,. perdus, détruits. Et les oublis arriver.


    L'autre côté malsain, c'est la volonté de la justice de vouloir savoir et même juger de la manière de travailler des parlementaires. Or, la démocratie impose la séparation des pouvoirs et les parlementaires, dont la légitimité (au contraire des juges) est absolue puisqu'elle vient du peuple, n'a ni leçon à prendre ni compte à rendre à la justice sur sa manière de travailler qui doit d'ailleurs rester parfois confidentielle. Il en est de même pour des ministres sur la gestion de la crise du covid-19 : la justice n'a pas à se substituer au peuple ou aux parlementaires dans l'appréciation de la politique menée par un gouvernement.

    Ces considérations politiques étant écrites, j'en reviens aux considérations juridiques, car un arrêt de la Cour de Cassation, c'est d'abord la procédure et pas le fond (même si cela peut l'être parfois). Car dans son malheur, François Fillon peut quand même avoir une petite satisfaction.


    En effet, si la décision de la cour d'appel sur la culpabilité de François Fillon, de son épouse et de son suppléant (qui, lorsque François Fillon était ministre ou Premier Ministre, avait continué à rémunérer Pénélope Fillon comme collaboratrice parlementaire) a été validée, ce qui rend cette reconnaissance de culpabilité définitive (on va dire quasiment définitive, car il y a encore un recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui serait étonnant car certains élus du même parti voulaient que la France se désengage de la CEDH), la Cour de Cassation a néanmoins cassé la décision de la cour d'appel concernant les peines prononcées à l'égard de François Fillon et les dommages et intérêts à verser. En revanche, les peines prononcées à l'égard de l'épouse et du suppléant ont été validées et sont donc définitives (car aucun des deux n'a été condamné à une peine de prison ferme).

    Maître Éric Landot, avocat brillant qui tient de manière très assidue un blog très instructif, a ainsi fait une petite note de synthèse au lendemain de la décision de la Cour de Cassation. On y apprend ainsi quelques éléments intéressants du droit et de la politique.

    Par exemple, les élus n'ont pas le droit, depuis longtemps, de recruter un membre de leur famille au titre d'un emploi public : c'est « une prise illégale d'intérêts au pénal et une illégalité en droit administratif ». C'est l'article 432-12 du code pénal qui régit cette infraction. Même un lien d'amitié établi suffit à constituer la prise illégale d'intérêts. Le blog propose plusieurs affaires dont le cas d'un élu qui a recruté sa sœur comme directrice générale des services (DGS), numéro une de l'administration de la collectivité locale en question (arrêt du 4 mars 2020).

    En revanche, les parlementaires, avec leurs collaborateurs parlementaires, ne sont pas dans la même situation que les élus d'une collectivité avec leur administration. C'est pour cela que les poursuites n'ont pas été fondées sur la prise illégale d'intérêts mais sur le détournement de fonds publics, l'abus de biens sociaux et leurs recels. Comme je l'ai écrit plus haut, on n'a donc pas reproché Pénélope Fillon d'être l'épouse du député qui l'a recrutée mais de n'avoir rien fait en tant que collaboratrice parlementaire.

    Maître Éric Landot insiste sur la validation de la cour d'appel par la Cour de Cassation : « Elle juge notamment que le principe de séparation des pouvoirs n’interdit pas au juge judiciaire de vérifier qu’un contrat de travail conclu entre un parlementaire et un de ses collaborateurs a réellement été exécuté, dès lors qu’il s’agit d’un contrat de droit privé. Le député, son épouse et le suppléant sont donc définitivement déclarés coupables, notamment de "détournements de fonds publics par personne chargée de mission de service public" et complicité de cette infraction. ».

    En revanche, François Fillon repassera devant un tribunal (sa condamnation sera rejugée par la cour d'appel), non pas pour être jugé sur sa culpabilité (elle est définitivement établie) mais pour redéfinir sa peine. En effet, il a été condamné le 9 mai 2022 à quatre d'emprisonnement dont trois avec sursis, donc à un an de prison ferme.

    Le blog du juriste explique simplement la raison de cette invalidation partielle : « Cette cour n’avait pas pris soin de justifier des raisons pour lesquelles elle avait prononcé une peine partiellement ferme (même si une peine d’un an ne conduit en pratique qu’au bracelet électronique), alors que c’est obligatoire de le faire (en se fondant sur la gravité de l’infraction, la personnalité de son auteur et l’existence ou non de sanction alternative adéquate). Or, en condamnant le député, le juge d’appel n’a pas expliqué en quoi une autre sanction que la peine d’emprisonnement sans sursis aurait été manifestement inadéquate. D’où une censure de la Cour de Cassation. ».

    Le montant des dommages et intérêts que François Fillon et son épouse devront verser à l'Assemblée Nationale sera également rejugé par la cour d'appel. L'explication d'Éric Landot : « La Cour de Cassation casse la décision de la cour d’appel en ce qu’elle condamne le député et son épouse à rembourser à l’Assemblée Nationale l’intégralité des salaires versés. En effet, les juges ont constaté que si les rémunérations versées étaient manifestement disproportionnées au regard du travail fourni, elles n’étaient pas dénuées de toute contrepartie. ».

    Concrètement, une peine de prison ferme ne se justifie pas pour François Fillon. Ce nouveau procès un peu particulier pourra-t-il redorer son honneur ? Certainement pas, car la reconnaissance de sa culpabilité est définitive. Il a été piégé par une trop grande confiance en lui. Et surtout une arrogance politique pour écraser ses deux adversaires de son parti, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Des trois, c'est celui qui a le mieux réussi à tourner la page de la vie politique pour aller quérir d'autres fortunes dans d'autres contrées. C'est peut-être cela le plus tragique pour lui : que sa condamnation définitive n'a même pas fait les grands titres des journaux. Lui qui était promis à devenir Président de la République.


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (25 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    François Fillon définitivement condamné.
    Rapport de la commission d'enquête n°1311 de l'Assemblée Nationale relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères (enregistré le 1er juin 2023).
    François Fillon, vendeur de rillettes sur la place Rouge !
    Et voici que François Fillon revient...
    A-t-on volé l’élection de François Fillon ?
    François Fillon, victime de la morale ?
    Une affaire Fillon avant l’heure.
    François Fillon, artisan de la victoire du Président Macron.
    Matignon en mai et juin 2017.
    François Fillon et son courage.
    Premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril 2017.
    Macron ou Fillon pour redresser la France ?
    François Fillon, le seul candidat de l’alternance et du redressement.
    Programme 2017 de François Fillon (à télécharger).
    L’autorité et la liberté.
    Un Président exemplaire, c’est…
    Interview de François Fillon dans le journal "Le Figaro" le 20 avril 2017 (texte intégral).
    Interview de François Fillon dans le journal "Le Parisien" le 19 avril 2017 (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 15 avril 2017 au Puy-en-Velay (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 14 avril 2017 à Montpellier (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 13 avril 2017 à Toulouse (texte intégral).
    Tribune de François Fillon le 13 avril 2017 dans "Les Échos" (texte intégral).
    Discours de François Fillon le 12 avril 2017 à Lyon (texte intégral).


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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240424-fillon.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-fillon-definitivement-254349

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240424-fillon.html




  • La vision européenne décevante d'Édouard Balladur

    « Mon engagement dans cette action est total. Seul son succès m'importe. Je m'y dévouerai exclusivement. (…) Ce sera difficile ? A coup sûr. Périlleux ? Peut-être. Indispensable ? Évidemment. (…) N'ayons pas peur du risque. Ensemble, nous allons bâtir le nouvel exemple français. » (Édouard Balladur, le 8 avril 1993 dans l'hémicycle).


     

     
     


    95 ans. C'est l'âge qu'atteint Édouard Balladur ce jeudi 2 mai 2024. Un âge canonique qui le fait intégrer dans le petit cercle des potentiels centenaires de la vie politique, comme l'est déjà Roland Dumas, et que n'ont pas été Jacques Delors et Robert Badinter (à quelques années près).

    S'il n'a pas été le premier des princes, à savoir Président de la République (il a raté la première marche le 23 avril 1995 avec seulement 18,6% des suffrages exprimés), Édouard Balladur, auteur de vingt-deux essais, a cependant eu deux rôles très importants dans la Cinquième République, celui de Premier Ministre entre 1993 et 1995, et celui de candidat à l'élection présidentielle, grand candidat, c'est-à-dire potentiellement gagnant. Et j'ajouterai aussi un rôle de théoricien, celui de la cohabitation par un article publié le 16 septembre 1983, cohabitation dont il fut doublement acteur.

    Édouard Balladur a bénéficié de sondages étonnamment flatteurs pendant sa période d'exercice du pouvoir. En général, quand on gouverne, on est impopulaire. Mais il a gouverné de manière à ne mécontenter personne. En ce sens, il a été peu courageux dans les réformes économiques et sociales (dont on ne retiendra pas ni les privatisations, loi n°93-923 du 19 juillet 1993, ni la réformette sur les retraites, loi n°93-936 du 22 juillet 1993, une des premières), les remettant après l'élection présidentielle. De plus, un jeu d'écriture comptable a allègrement faussé la réalité des finances publiques.

    En 1995, tous les leaders de l'UDF soutenaient le Premier Ministre Édouard Balladur dans son aventure électorale. Pour la confédération des partis centristes, il était l'homme idéal pour dégager définitivement Jacques Chirac de la vie politique. Membre moi-même de l'UDF, j'avais une analyse très différente. À l'origine, j'appréciais peu Jacques Chirac parce que j'avais fait campagne pour Raymond Barre en 1988 et j'ai vu le bull-doser chiraquien avec sa mauvaise foi, ses éléments de langage et sa machine électorale redoutable. Toutefois, dès lors que l'UDF serait absente directement de l'échéance présidentielle de 1995, ma réflexion se posait sur le choix entre Édouard Balladur et Jacques Chirac.

    Pour moi, en dehors de la personnalité qui leur est propre, aucune différence notable dans le programme politique n'existait, ce qui était d'autant plus vrai que c'était Jacques Chirac qui avait proposé Édouard Balladur à Matignon (du 29 mars 1993 au 17 mai 1995) après la vaste victoire de l'union UDF-RPR en mars 1993. De plus, Édouard Balladur, très proche du Président Georges Pompidou (il a été le Secrétaire Général adjoint, puis Secrétaire Général de l'Élysée du 5 avril 1973 au 2 avril 1974), et Jacques Chirac était lui-même le poulain de Georges Pompidou, ils provenaient donc de la même branche du gaullisme historique, celle du conservatisme social et libéral de la bourgeoisie de province. En outre, les supputations pour Matignon restaient les mêmes quelle que fût la victoire, Alain Juppé aurait été probablement nommé dans tous les cas, par Jacques Chirac qu'il avait soutenu loyalement sans plus trop y croire comme par Édouard Balladur qui aurait besoin de raccommoder sa majorité (à l'époque, on parlait aussi de Charles Pasqua puis de Nicolas Sarkozy à Matignon en cas d'élection d'Édouard Balladur).

     

     
     


    Donc, dans ma réflexion, mon choix devait partager des personnalités et pas des programmes politiques. Or, Jacques Chirac avait pour une fois la position de recul que n'avait pas Édouard Balladur. Ce dernier montrait une réelle distance avec le "vrai peuple", une distance assez méprisante voire arrogante, bien plus grande encore que Valéry Giscard d'Estaing sans son intelligence et son niveau d'analyse. Édouard Balladur était un rond-de-cuir de la politique qui a saisi une occasion improbable, celle d'être au pouvoir et de gérer le pays un peu par hasard et certainement pas pour faire l'histoire. Son thème de campagne était de « croire en la France » mais il fallait d'abord croire en Balladur.

    Jacques Chirac, dans le rôle du trahi et plus du traître qu'il a souvent été (Jacques Chaban-Delmas en 1974, Valéry Giscard d'Estaing en 1981, Raymond Barre en 1988, etc.), a fait d'ailleurs une excellente campagne présidentielle, partant justement du peuple, rencontrant toutes les forces vives du pays sans caméras, pour mieux comprendre la France et les Français. Son thème de la fracture sociale, suggéré par Philippe Séguin, était excellent, à tel point qu'il a réussi à rassembler également des suffrages d'électeurs de gauche déboussolés par l'effondrement du PS et les révélations sur le passé de François Mitterrand.


    Mon vote Chirac a donc été par défaut mais dès le premier tour, et je ne l'ai pas regretté en 2007, à la fin de ses deux mandats, même si j'étais fermement opposé à deux de ses décisions présidentielles importantes, la dissolution de 1997 et le référendum sur le quinquennat de 2000. Que reste-t-il de la période d'Édouard Balladur ? Rien. Alors que son successeur, Alain Juppé, est resté dans les mémoires, comme celui qui a tenté de réformer la Sécurité sociale. Quant à Jacques Chirac, il aurait sans doute été plus cohérent en nommant Philippe Séguin en mai 1995 et Nicolas Sakorzy en mai 2002 à Matignon. Mais il a laissé des discours mémorables, et historiquement essentiels, celui de la reconnaissance de la France dans la rafle du Vel' d'hiv' (en juillet 1995), de la mort de François Mitterrand (en janvier 1996) et aussi de son départ où il avouait, malgré sa pudeur, l'amour qu'il vouait aux Français et à la France (en mars 2007). D'autres ont retenu sa position contre l'intervention américaine en Irak, mais cette position n'était pas évidente et pas nécessairement sa première position spontanée.

    Et Édouard Balladur dans l'affaire ? Il a continué comme un "vulgaire" homme politique, ordinaire, cherchant en vain à conquérir un petit Graal, comme la présidence du conseil régional d'Île-de-France en mars 1998, puis la mairie de Paris en mars 2001, cette dernière bataille après une rivalité primaire contre Philippe Séguin. Député de Paris de mars 1986 à juin 2007, dans une circonscription imprenable à partir de 1988, et conseiller de Paris de 1989 à 2008, il n'a pas eu à batailler ferme pour maintenir ses propres mandats parisiens.

     

     
     


    Bien qu'à l'origine, il était spécialisé dans l'économie et le social (il a présidé des groupes industriels dans les années 1970), ce qui l'a bombardé Ministre d'État, Ministre de l'Économie et des Finances du 20 mars 1986 au 10 mai 1988, souvent appelé Vice-Premier Ministre, Édouard Balladur, comme tous les hommes d'État en retrait, s'est préoccupé surtout des institutions et des affaires étrangères. Ainsi, il a présidé la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale du 27 juin 2002 au 19 juin 2007 lors de son dernier mandat parlementaire (faute d'être élu Président de l'Assemblée Nationale le 25 juin 2002, recueillant seulement 163 voix sur 541, battu par Jean-Louis Debré avec 217 voix, puis unique candidat de droite au second tour), et il a présidé deux Comités Balladur, le Comité de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions (nommé du 18 juillet 2007 au 29 octobre 2007), et le Comité pour la réforme des collectivités locales (nommé du 22 octobre 2008 au 25 février 2009), tous les deux issus de la volonté de Nicolas Sarkozy élu Président de la République et, en quelque sorte, faisant gagner Édouard Balladur à l'Élysée par procuration.

    Malgré la proposition de Nicolas Sarkozy de le nommer en février 2010 au Conseil Constitutionnel, le conseiller honoraire du Conseil d'État (diplômé de l'IEP Paris et de l'ENA) a décliné l'offre pour se consacrer à sa retraite. Au sein de l'UMP puis de LR, Édouard Balladur a soutenu François Fillon en novembre 2012, Nicolas Sarkozy en novembre 2016, François Fillon en avril 2017, Laurent Wauquiez en décembre 2017 et Valérie Pécresse en avril 2022. Il n'a jamais apporté son soutien à Emmanuel Macron et a même émis une appréciation très sévère contre ce dernier sur sa politique européenne.

    Auteur d'une note politique pour la fondation Fondapol publiée le 27 juin 2023, l'ancien Premier Ministre affirmait un certain euroscepticisme, assez étonnant de sa part : « Depuis trente ans, le monde a changé au détriment de l’Europe. La France a changé davantage encore et paraît atteinte dans ses forces vitales. L’Europe peut-elle contribuer à son redressement ? Rien n’est moins sûr. Des progrès ont été recherchés, mais dans un désordre qui a permis à la technostructure européenne d’accroître encore son pouvoir. (…) Il faut sortir de l’ambiguïté, la France doit demeurer souveraine dans certains domaines essentiels. L’Union n’est pas une organisation fédérale et ne doit pas le devenir. ». À croire que toutes ses belles paroles européennes des années 1990 étaient de l'hypocrisie électorale...

    Par cette analyse très décevante et sans innovation, il est revenu à son dada des cercles concentriques : « Avant tout élargissement, définir clairement la construction de l’Europe en cercles à compétences et à compositions variables, en faire un principe de base. ». Mais il n'a porté aucune proposition concrète sinon les yaka fonkon habituels, très stériles et très communs : « La France doit sortir du déclin qui la menace. La lutte contre les déficits, l’endettement, l’insécurité, et pour l’amélioration de la compétitivité, du système éducatif, hospitalier, pour la régulation effective de l’immigration, demeurent des compétences nationales. (…) Si la France veut survivre, l’Europe doit être réorganisée et la France doit demeurer responsable de son propre destin. ». On ne peut pas demander à une personne qui a eu 15 ans en 1944 d'imaginer le monde de 2030, encore moins de 2050. Ni être le vieux sage de la politique des années 2020 comme l'a si élégamment été Antoine Pinay entre 1974 et 1994.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (01er mai 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Édouard Balladur.
    Le théoricien de la cohabitation.
    Le Comité Balladur de 2007.
    La cohabitation de 1986.

     

     
     





    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240502-balladur.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-vision-europeenne-decevante-d-254304

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240502-balladur.html




     

  • Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon

    « Moi, je pense que la politique et que ma responsabilité en tout cas, ce n'est pas seulement de faire des grands récits, c'est aussi de répondre à des petits problèmes et de faire des progrès dans la vie quotidienne des Français. » (Gabriel Attal, le 18 avril 2024 sur BFMTV).



     

     
     


    Journée importante pour le Premier Ministre Gabriel Attal que ce jeudi 18 avril 2024 censé "fêter" (façon de parler) ses 100 jours à Matignon. Et pas n'importe comment : le matin, un discours important à Viry-Châtillon sur le retour à l'autorité chez les enfants et adolescents, et le soir, une émission politique importante sur BFMTV.

    Comme pour tous les Premiers Ministres, le job est un contrat à durée déterminée indéterminée. Le Premier Ministre peut être remplacé du jour au lendemain. Ce qui fait que chaque journée, chaque minute compte, bien évidemment. Pas étonnant qu'au bout de six mois, ils sont d'office décoré de l'ordre national du Mérite. C'est sans doute la fonction la plus épuisante de France, de toutes les fonctions, privées et publiques confondues.


    Sur l'autorité à l'école, Gabriel Attal a tenté de répondre aux faits-divers qui ont endeuillé plusieurs famille pour avoir touché la vie de plusieurs collégiens, en particulier à Viry-Châtillon où un adolescent est mort après avoir été battu près de son collège. Pour le chef du gouvernement, la violence des mineurs provient d'un manque de respect à l'autorité. Gabriel Attal a énuméré un certain nombre de mesures comme l'inscription dans Parcoursup des protestations et des contestations de l'autorité de l'école, ce qui pourra handicaper des élèves violents dans la poursuite de leurs études supérieures, de la signature d'un contrat d'engagement à respecter l'autorité et les valeurs de la République chaque année entre les parents, les établissements et les élèves, la généralisation à l'école primaire des cours d'empathie, la possibilité d'une place en internat pour les jeunes violents pour les éloigner de leurs mauvaises fréquentations, le contrôle de l'âge réel des jeunes qui s'inscrivent dans les réseaux sociaux (il doit être supérieur à 15 ans), avec la possibilité d'une vérification entre l'opérateur et le fichier des inscriptions dans un établissement scolaire, une responsabilisation accrue des parents, en particulier la responsabilité solidaire des réparations financières des deux parents, même s'ils sont séparés, en cas de dégâts provoqués par leur enfant, etc. Pour Alain Duhamel, Gabriel Attal est très crédible dans ce domaine qui a été son leitmotiv quand il a été Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.

    L'émission du jeudi soir sur BFMTV était un exercice beaucoup plus périlleux pour le Premier Ministre. Cinq journalistes l'ont interrogé selon des thèmes précis. Gabriel Attal s'est montré à la fois humble et modeste face à sa tâche, et aussi factuel, concret, précis sur les mesures qu'il a prises, souvent en corrigeant les fake-news ou les mauvaises interprétations. Un exemple parmi d'autres : la suppression d'une prime spéciale pour l'alternance. Depuis 2017, il y a eu une forte augmentation des formations en alternance, voulue par le Président de la République. Pendant la crise du covid-19, le gouvernement avait mis en place une prime spéciale pour soutenir l'alternance. La crise étant finie, le gouvernement vient de la supprimer. Ce n'était pas cette prime qui avait permis la progression de l'alternance en France et il faut savoir si on critique le déficit budgétaire (en s'aidant de la Cour des Comptes en passant) ou si on critique le fait de réduire les dépenses publiques (en particulier, la suppression de cette prime spéciale était une mesure préconisée par la Cour des Comptes).

    Toutefois, on pourra regretter que les journalistes qui l'ont interrogé ne l'écoutaient pas et l'interrompaient sans cesse, histoire de montrer qu'ils ne seraient pas allégeants. Comme le veut leur profession, ils essayaient avant tout de faire sortir "la" petite phrase qui ferait le buzz dans les prochains jours, tout en faisant la promotion de leur employeur (en l'occurrence BFMTV). Déviation professionnelle particulièrement néfaste pour avoir une vue éclairée de la vie politique, puisque ce qui compte, à leurs yeux, n'est que de vaines polémiques anecdotiques. Évidemment, pour le professionnel de la communication qu'est Gabriel Attal, il y avait peu de chance qu'il tombât dans les nombreux pièges parfois subtils de ses interviewers, et même de ce côté : tout est de la com' ! En effet, Gabriel Attal a répondu en disant que si tout ce qu'il faisait était de la communication, on ne l'attaquerait pas sur des mesures concrètes, il n'y aurait pas de débat, sur l'assurance-chômage, sur le RSA, etc.

     

     
     


    Parmi les pièges, Ulysse Gosset a beaucoup interrogé Gabriel Attal sur la situation en Ukraine et au Proche-Orient (on note au passage que le Premier Ministre était assez convaincant sur ces sujets qu'ils connaissaient pourtant assez mal par son expérience gouvernementale, même si le Premier Ministre est responsable de la défense nationale et qu'à ce titre, il est membre du conseil de défense).

    Ulysse Gosset lui a demandé quelle serait la position de la France, qui soutiendrait-elle ?, en cas d'escalade et de guerre directe entre Israël et l'Iran. Malgré l'insistance du questionneur chevronné, Gabriel Attal s'est bien gardé de répondre à cette question qui se base sur une hypothèse dans laquelle il refuse de se placer puisque la France fait tout diplomatiquement pour éviter une telle escalade et une telle guerre. En se plaçant dans ces conditions de guerre, cela signifierait que la France les aurait déjà tenues pour acquises.

    Mais la palme revient à Benjamin Duhamel pour les questions de politique politicienne particulièrement sans intérêt. Gabriel Attal a sans doute peu convaincu lorsqu'il a dit qu'il ne songeait pas à l'élection présidentielle de 2027 (contrairement à certains rivaux dans la majorité comme Édouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin), mais finalement, on peut imaginer sa sincérité. Il est Premier Ministre, donc, comme le disait Georges Pompidou, dès qu'il a posé le pied à Matignon, l'hypothèse de l'Élysée se diffuse, mais d'un autre côté, cette fonction étant terriblement à court terme, où il doit éteindre des incendies, répondre à des urgences, qu'il n'a même pas le temps de voir un horizon à trois mois, alors, à trois ans, c'est très loin et personne ne pourra dire où il sera à cette date. En revanche, lui se voit mal encore dans la vie politique dans vingt ou trente ans.

     

     
     


    La question de Benjamin Duhamel sur le vote d'une éventuelle motion de censure cet automne contre le projet de loi de finance, comme le menace le groupe LR, paraît aussi fantaisiste qu'une guerre réelle entre Israël et l'Iran : pourquoi dire ce que ferait le gouvernement dans un tel cas alors qu'il pourrait ne jamais survenir ? Il faut noter qu'en cas de vote d'une motion de censure, Gabriel Attal le considérerait comme un événement politique majeur (il n'a pas tort). Et la réaction à un tel événement n'est d'ailleurs pas du ressort du Premier Ministre mais du Président de la République (changement de Premier Ministre, dissolution, référendum...).

    Pas de réponse satisfaisante pour les porteurs d'audience non plus à propos de la petite phrase de Laurent Fabius évoquée de manière très imprécise par Benjamin Duhamel. À l'époque, c'était son oncle Alain Duhamel qui avait posé la question le 5 septembre 1984 dans "L'Heure de vérité" sur Antenne 2 au tout jeune Premier Ministre Laurent Fabius : « Vous avez tout appris de la politique auprès de François Mitterrand. Peut-on être un chef de gouvernement autonome lorsque l’on devient le premier collaborateur de celui dont on a toujours été le collaborateur ? ». Et Laurent Fabius de répondre : « Je vais vous faire une révélation, lui, c’est lui, moi c’est moi ! ». Benjamin Duhamel aurait rêvé d'une telle nouvelle petite phrase qui resterait dans les annales de l'histoire audiovisuelle. Mais il faut pour cela être un peu plus malin ! Démentant les éventuels désaccords entre Emmanuel Macron et lui-même, Gabriel Attal a insisté pour dire que ces rumeurs existent depuis qu'existe le couple Président/Premier Ministre et que, de toute façon, ils sont deux personnes différentes, donc forcément il y a des nuances.

    Gabriel Attal a voulu montrer d'abord l'image d'un Premier Ministre qui allait au charbon, qui travaillait, qui s'occupait des gens, qui ne pensait pas en se rasant ce qu'il deviendrait plus tard mais qui se demandait ce qu'il pourrait faire tout de suite pour servir le pays et les Français. S'il a été très pugnace dans ses critiques contre le RN (en particulier, leur vulgarité de langage qui n'est pas sans faire penser aussi aux comportements violents à l'école), il n'a pas montré beaucoup d'arrogance et a même laissé entendre qu'il restait impressionné par ses fonctions. Il a refusé de parler d'enfer de Matignon alors que c'est une mission exaltante et qu'on peut toujours quitter si c'est trop difficile. À la question sur : à qui demandez-vous conseil pour certaines questions difficiles ?, le Premier Ministre a été étonnamment sincère : il en parle avec ses conseillers (qui en douterait ?), ses ministres concernés ...et sa famille. Mais il ne consulte pas des personnalités comme François Bayrou ou Édouard Philippe, par exemple. Sa réponse franche montre surtout à quel point, au sommet de l'État, le pouvoir est excessivement solitaire.

    Quant à la campagne des élections européennes, Gabriel Attal a estimé qu'elle n'avait pas encore vraiment commencé et que la question sur l'avenir de l'Europe n'intéressait pas les journalistes ni l'opposition qui ne pensent qu'à en faire une étape nationale sur le chemin de la prochaine présidentielle. Seule la liste menée par Valérie Hayer pense réellement à l'Europe, avec des projets concrets. En somme, Gabriel Attal devrait tout être : chef du gouvernement, ministre de tout... et tête de liste aux européennes. En tout cas, il a expliqué que son adversaire n'était pas Jordan Bardella, député européen, mais Marine Le Pen puisqu'en tant que Premier Ministre, il est avant tout responsable devant le Parlement et que Marine Le Pen est la présidente du plus grand groupe d'opposition. C'est donc un débat avec Marine Le Pen, qu'elle refuse, qu'il a proposé à nouveau pour faire comprendre aux Français les différences (majeures) de l'offre politique.



    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (18 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Les Cent jours de Gabriel Attal à Matignon.
    Ukraine : Gabriel Attal attaque durement le RN et Marine Le Pen !
    Séminaire gouvernemental, conseil de cabinet et conseil des ministres.
    Les souris du gouvernement de Gabriel Attal.
    Liste complète de tous membres du premier gouvernement de Gabriel Attal au 8 février 2024.
    Mais quelle mouche a donc piqué François Bayrou ?!
    Le capitaine Gabriel Attal fixe le cap du réarmement de la France.
    Discours de politique générale du Premier Ministre Gabriel Attal le 30 janvier 2024 à l'Assemblée Nationale (texte intégral et vidéo).
    Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
    Gabriel Attal répond à Patrick Kanner sur les crédits pour l'hôpital.
    Pour que la France reste la France !

    Conférence de presse du Président Emmanuel Macron le 16 janvier 2024 à 20 heures 15 à l'Élysée (texte intégral et vidéo).
    Gabriel Macron.
    Tribune du Président Emmanuel Macron dans "Le Monde" du 29 décembre 2023.

    Le gouvernement de Gabriel Attal sarkozysé.
    Liste complète des membres du premier gouvernement de Gabriel Attal.
    Cérémonie de passation des pouvoirs à Matignon le 9 janvier 2024 (texte intégral et vidéo).
    Gabriel Attal plongé dans l'enfer de Matignon.
    Élisabeth Borne remerciée !
    Macron 2024 : bientôt le grand remplacement ...à Matignon ?
    Vœux 2024 d'Emmanuel Macron : mes chers compatriotes, l’action n’est pas une option !












    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240418-gabriel-attal.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-cent-jours-de-gabriel-attal-a-254233

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/18/article-sr-20240418-gabriel-attal.html




     

  • Mon Raymond Barre à moi !

    « Les porteurs de pancartes, ceux qui scribouillent, jacassent et babillent, le chœur des pleureuses et le cortège des beaux esprits, des milieux qui ne vivent que de manœuvres, d’intrigues et de ragots. » (Raymond Barre, le 26 septembre 1978).



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    Pourquoi ne suis-je pas étonné que le centenaire de Raymond Barre semble laisser complètement indifférente la classe médiatico-politique actuelle ? En effet, l'ancien Premier Ministre est né il y a 100 ans, le 12 avril 1924, à Saint-Denis, à La Réunion. Très malade et hospitalisé depuis plusieurs mois, il est mort d'une crise cardiaque à 83 ans le 25 août 2007 au Val-de-Grâce, l'hôpital parisien des grands politiques (aujourd'hui fermé). Ève Hegedüs, d'origine hongroise, qu'il a épousée en novembre 1954, est morte à 97 ans au début du mois de novembre 2017 à Genève. Je ne suis pas étonné de cet oubli généralisé parce que Raymond Barre était un homme d'État qui, aujourd'hui, fait figure de passé révolu (on n'en fait plus comme ça !). Et probablement aussi parce qu'il y a eu quelques révélations posthumes qui n'étaient pas du meilleur effet pour sa postérité (lire plus loin).

    J'ai toujours claironné mon barrisme et je le claironne encore aujourd'hui ("quoi qu'il en coûte" !), même si c'est un peu vain et même s'il devient très difficile d'expliquer ce qu'est le barrisme en 2024. Comme avec De Gaulle, il n'est pas question d'imaginer ce qu'aurait pu penser, dire, faire une personnalité qui, aujourd'hui, a disparu, mais ses leçons de vie ont toujours été très instructives.

    Si je me suis engagé en politique, c'était pour le soutenir, lui, Raymond Barre, candidat à l'élection présidentielle de 1988. Je notais d'ailleurs frénétiquement les noms de ceux qui le soutenaient aussi, en puisant dans les nombreuses notes confidentielles des journaux, des soutiens clairs et publics et des soutiens plus flous, qui n'osaient pas trop de le dire en raison de leurs attaches partisanes à droite mais aussi à gauche. D'ailleurs, certains de ces soutiens ont pu décevoir par la suite (c'était le cas de Philippe de Villiers, Christine Boutin, Charles Millon, etc.). J'étais même content d'avoir pu convaincre quelques électeurs socialistes modérés déçus par le cynisme de François Mitterrand.

    Ce qui est terrible lorsqu'on s'engage pour une personne, c'est qu'on risque de penser que seule sa pensée est la bonne. Le problème, c'est qu'elle n'est pas immortelle, au-delà de ne pas être infaillible, et que la pensée politique ne peut pas se référer qu'à une seule personne pour l'incarner. C'était longtemps le problème du gaullisme, mais De Gaulle avait pour lui non seulement son mythe de l'homme du 18 juin, mais aussi celui du fondateur de la Cinquième République. C'est aussi le problème de l'actuel Président Emmanuel Macron que je soutiens : sur quels fondements de philosophie politique agissent les responsables politiques ?

    C'est donc mon engagement auprès de Raymond Barre qui m'a permis d'affiner mes convictions politiques et philosophiques et pas l'inverse. Très globalement, la philosophie générale du centre droit, on pourrait parler du parti bourgeois ou orléaniste, c'est le pragmatisme économique, à savoir la paix par la prospérité. Avec un zeste de social et d'humanisme. Mais dans notre monde complexe, c'est très réducteur et surtout, très incomplet.

    Pour autant, Raymond Barre n'était pas mon gourou et, heureusement, contrairement à d'autres leaders politiques (comme chez les insoumis par exemple), il n'a créé aucune secte ! Raymond Barre était un humain avec ses failles. Il en avait beaucoup : il n'a pas participé à la Résistance alors que des plus jeunes que lui l'ont fait (il avait 20 ans en avril 1944 ; il a fait son service militaire en 1945 à Madagascar), il a été parfois maladroit (avec des phrases franchement limite comme celle-ci, lors de l'attentat de la rue Copernic le 3 octobre 1980 : « Je rentre de Lyon plein d'indignation à l'égard de cet attentat odieux qui voulait frapper des Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. C'est un acte qui mérite d'être sévèrement sanctionné. », laissant croire, sémantiquement, que les Juifs n'auraient pas été innocents), et à la fin de la vie, plus par entêtement narcissique qu'autre chose, il a tenu des propos proches de l'antisémitisme qui pourraient illustrer le naufrage de la vieillesse. Enfin, après sa mort, le 3 juillet 2019, une enquête journalistique a dévoilé qu'il avait gardé en Suisse quelques millions cachés au fisc, j'avais l'intention d'écrire sur ce sujet mais je ne l'ai pas encore fait (à l'époque, tous les grands candidats avaient des relations troubles avec l'argent, car une campagne présidentielle coûte cher et il n'y avait pas encore de financement public de la vie politique).

    Si j'appréciais Raymond Barre, c'était parce qu'il synthétisait à lui seul deux amours, l'amour de la France et l'amour de l'Europe. Il synthétisait aussi deux courants politiques qui, souvent, se sont combattus : le gaullisme, et la démocratie chrétienne. J'utilise l'expression "démocratie chrétienne" à défaut d'une meilleure expression, qui pourrait être aussi "catholicisme social" mais ce serait encore plus réducteur, car la France est un pays laïque, et c'est très bien, mais ce courant se retrouve dans le reste de l'Europe et aussi en Amérique latine. On pourrait l'appeler le courant démocrate social à condition de ne pas le confondre avec le courant social-démocrate. Aujourd'hui, il pourrait être appelé le courant démocrate européen.

    Le gaullisme comme un serviteur de l'État. Lors du conseil des ministres du 21 juin 1967, Georges Pompidou, alors Premier Ministre, a proposé le nom de Raymond Barre pour la prochaine Commission Européenne. Il était déjà très réputé en économie, auteur à 35 ans des deux tomes "Économie politique" de la collection Thémis des PUF (Presses Universitaires de France) que des générations d'étudiants ont potassés (sortis en 1959 et réédités plus d'une quinzaine de fois, traduit en anglais, allemand, espagnol, russe, arabe, etc.), « le premier manuel moderne d'économie des facultés de droit » selon Jean-Claude Casanova, ancien élève et futur collaborateur. De Gaulle n'y a vu aucune objection, et son Ministre des Affaires sociales Jean-Marcel Jeanneney a approuvé dans la même instance, selon les notes d'Alain Peyrefitte : « Je me félicite du choix de Raymond Barre. C'est un gaulliste sûr et un économiste de premier ordre. Je suis convaincu qu'il aura dans la Commission autant d'autorité morale que Marjolin [auquel il allait succéder]. ». Jean-Marcel Jeanneney le connaissait bien car Raymond Barre avait travaillé dans son cabinet lorsqu'il était Ministre de l'Industrie entre 1959 et 1962, en tant que son chef de cabinet et ils ont été amené à mettre en application le Traité de Rome dans les secteurs industriels.

    Raymond Barre, lui, aurait voulu être nommé en 1967 Commissaire général au Plan, mais De Gaulle préférait bénéficier de son expertise à Bruxelles, ce qui montrait que De Gaulle ne négligeait pas du tout les instances européennes. Raymond Barre avait démarré sa carrière d'universitaire à Tunis (en tant que professeur agrégé de droit et de sciences économiques), où il a rencontré sa future épouse, et aussi un de ses étudiants, Jean-Claude Paye qui a dit plus tard : « Ce qui nous frappait le plus : son aptitude à établir des liens entre l'économie, la politique et l'histoire. ». Observateur et transmetteur, il est devenu rapidement acteur comme Vice-Président de la Commission Européenne chargé de l'Économie et des Finances du 7 juillet 1967 au 5 janvier 1973. Il a en particulier conçu la future Union économique et monétaire qui allait conduire au Serpent monétaire européen (SME), lui-même débouchant sur la future monnaie unique de l'Europe, l'euro (le SME consistait à encadrer le cours des monnaies européennes entre une cote maximale et une cote minimale, si bien que cela stabilisait les monnaies européennes et réduisait les risques de spéculations).

    Plus gaulliste que son prédécesseur Roberd Marjolin (porté par un certain supranationalisme) à la Commission, Raymond Barre a tout de suite suscité, malgré la méfiance initiale, la sympathie de ses partenaires européens pour son réalisme, son pragmatisme, son professionnalisme et sa convivialité (il était un bon vivant, comme sa silhouette pouvait en témoigner), ce qui a agrandi sa crédibilité internationale. Et aussi sa crédibilité auprès de De Gaulle qu'il a convaincu de ne pas dévaluer le franc en décembre 1968 malgré des spéculations consécutives à mai 68. Pour autant, le franc a été de nouveau attaqué en raison de l'incertitude créée par le référendum d'avril 1969 dont l'échec était prévisible, si bien qu'arrivé à l'Élysée, Georges Pompidou a pris la décision finalement de dévaluer le franc en août 1969. Pour Raymond Barre, c'était le point de départ d'une longue période d'inflation (toutes les années 1970 et première moitié des années 1980).

    Valéry Giscard d'Estaing l'a bien compris et l'a choisi pour diriger ensuite la France : Président, il l'a nommé Ministre du Commerce extérieur du gouvernement de Jacques Chirac le 12 janvier 1976, puis, alors qu'il était encore inconnu du grand public, Premier Ministre le 25 août 1976 (cumulant le Ministère de l'Économie et des Finances jusqu'au 31 mars 1978), et il est resté à Matignon jusqu'au 21 mai 1981, à la fin du septennat, malgré des périodes de surmenage (comme en octobre 1979). L'économiste s'est plu à faire de la politique (et c'était difficile avec, dans sa majorité, les empêcheurs de gouverner en rond qu'étaient les députés RPR),

    C'est la raison pour laquelle j'ai évoqué la synthèse Europe et France. Europe, car l'Européen convaincu a construit l'union économique et monétaire, seule la puissance européenne pourrait rivaliser économiquement avec les autres grands ensembles régionaux, mais aussi France, car il était un gardien pointilleux des institutions de la Cinquième République, et c'est d'ailleurs étonnant qu'il le fût plus que des gaullistes qui s'autoproclamaient du Général De Gaulle. Ainsi, il a soutenu le septennat et a toujours rejeté le quinquennat, il a aussi rejeté le principe de la cohabitation, considérant qu'un Président de la République qui n'avait plus de majorité à l'Assemblée Nationale, avait perdu la confiance du peuple et qu'il fallait relégitimer cette confiance d'une manière ou d'une autre. Le 7 octobre 1984, il affirmait : « Il y a là [avec l'idée de cohabitation] une trahison du principe fondamental de la Cinquième République et derrière cela, se profile le retour à un Président qui inaugure les chrysanthèmes avec un Premier Ministre et un gouvernement entre les mains des rivalités des partis. ».

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    Raymond Barre était contre le régime des partis, et d'ailleurs, il était contre le principe des partis, refusant de se faire enrégimenter par un appareil de parti, beaucoup trop électron libre pour suivre des consignes partisanes (ou en donner, d'ailleurs). Mais cet état d'esprit fut aussi sa perte car au moment de se présenter à l'élection présidentielle, il lui manquait une machine de guerre électorale efficace face au RPR (Jacques Chirac) et au PS (François Mitterrand). Lui ne pouvait se reposer que sur ses propres réseaux politiques (REEL, dirigés par Charles Millon) et sur l'UDF, une confédération de partis d'élus et pas de militants, eux-mêmes composés de nombreux électrons libres, souvent jaloux de leur indépendance politique et qui, souvent, monnayaient leur soutien au candidat le plus offrant.

    J'appréciais en effet beaucoup son indépendance d'esprit, sa capacité de réfléchir par lui-même, indépendamment des modes et des sondages, quitte à soutenir des dispositions impopulaires le cas échéant (il proclamait à Matignon : « Je préfère être impopulaire qu'irresponsable ! »). J'appréciais également son ton professoral (très peu électoraliste !), qui lui donnait une réelle autorité. J'étais d'ailleurs très étonné par sa grande popularité après 1981, qu'on pouvait sans doute expliquer par le besoin d'avoir un peu de sérieux dans l'économie alors que le gouvernement socialo-communiste faisait dans la surenchère des dépenses publiques (qu'on paie encore aujourd'hui, quarante-trois ans plus tard). Cela n'a pas suffi à le faire élire à l'Élysée en 1988 parce qu'il avait été un candidat assez médiocre, incapable de faire rêver, une campagne très peu dynamique (mal-menée d'abord par Philippe Mestre), il aurait dû être présent partout, réagir à tout, initier trente-six mille débats sur des sujets importants ou anecdotiques. Bref, dans la compétence de candidat, Jacques Chirac et François Mitterrand était nettement meilleurs que lui.

    Au lieu de se retirer de la vie politique après son échec de 1988, Raymond Barre s'est finalement prêté au jeu politique classique. Député de Lyon depuis 1978 (André Santini, député UDF, s'amusait à témoigner : « Barre, c'est mon compagnon de chambre : il dort à côté de moi à l'Assemblée ! »), il a été élu maire de Lyon de juin 1995 à mars 2001, et à ce jour, les Lyonnais le considèrent comme le meilleur maire qu'ils ont eu. Il faut dire qu'il a poursuivi avec succès le projet de Michel Noir d'ouvrir la ville traditionnellement très repliée sur elle-même pour la faire rayonner internationalement, ce que savait faire Raymond Barre par sa grande expérience du pouvoir. Une ville lumière !

    Parmi les défauts de Raymond Barre, on pourrait bien sûr affirmer qu'il manquait un peu d'anticipation sur la réalité des dangers politiques de l'avenir. Il restait très anticommuniste, et il était très prudent sur la politique d'ouverture de l'URSS de Mikhaïl Gorbatchev, ne tombant pas dans la gorbamania comme la plupart des dirigeants ouest-européens. En revanche, il n'avait pas vu venir, malgré le développement de l'audience électorale de Jean-Marie Le Pen, la menace durable et inquiétante d'une extrême droite populiste non seulement en France, mais aussi en Europe voire dans le monde entier (en particulier sur le continent américain). Sans doute était-ce sa génération qui voulait cela, puisqu'il est né quand l'Union Soviétique avait un an. Toutefois, son humanisme l'encourageait à prôner des idées que rejette l'extrême droite, en particulier sur le respect des immigrés. En 1988, Raymond Barre disait ainsi : « La France a été dans le passé et sera dans l'avenir une société composée de communautés de provenances diverses et de cultures variées. La France, comme les États-Unis, est un creuset. Aucun autre pays, à l'exception de la Yougoslavie, n'a une composition ethnique si hétérogène. (…) L'unité française s'est construite sur, et contre, une extraordinaire diversité ethnique et culturelle. ».

    J'expliquais que l'UDF l'avait soutenu à l'élection présidentielle de 1988 et pas le RPR. Il était gaulliste et démocrate chrétien, un courant qui a existé avec le MRP, des résistants gaullistes et centristes (comme Edmond Michelet, Maurice Schumann), mais Raymond Barre n'était pas un ancien résistant. Les gaullistes étaient totalement polarisés par Jacques Chirac et le RPR, et seul le courant centriste a soutenu Raymond Barre, le CDS (Centre des démocrates sociaux) d'ailleurs nettement plus sincèrement que le Parti républicain (ex-RI, parti de VGE), ce qui a justifié mon engagement au CDS à l'époque.

    Malheureusement, il n'existe plus de Raymond Barre dans la classe politique d'aujourd'hui. Les centristes, dont le courant est aujourd'hui représenté par Emmanuel Macron, même si c'est très différent historiquement, car les centristes, c'est l'Europe et la décentralisation (la subsidiarité), or, le macronisme est certes européen mais plutôt jacobin, les centristes restent avec ce péché originel de vouloir revenir à la Quatrième République (avec le MoDem, le Parti radical, l'UDI, etc.). Ce n'est pas exactement cela, mais leur propension à soutenir par exemple le scrutin proportionnel en est un symptôme. Au contraire, Raymond Barre défendait les institutions gaulliennes avec le scrutin majoritaire qui permettent d'avoir un gouvernement fort, efficace et démocratique, avec une majorité solide (pas toujours !), alors que les centristes aiment rarement la figure de l'homme providentiel (ou de la femme providentielle).

    À ma connaissance, seulement quatre grandes biographies ont été publiées sur Raymond Barre : "Un certain Raymond Barre" de Pierre Pélissier (éd. Hachette, 1977), "Monsieur Barre" d'Henri Amouroux (éd. Robert Laffont, 1986), "Raymond Barre" de Christiane Rimbaud (éd. Perrin, 2015) et "Raymond Barre aujourd'hui" de Jacques Bille (éd. Temporis, 2020). Nul doute qu'on le découvrira plus tard, après une traversée du désert...


    Aussi sur le blog.

    Sylvain Rakotoarison (07 avril 2024)
    http://www.rakotoarison.eu


    Pour aller plus loin :
    Mon Raymond Barre à moi !
    Un véritable homme d’État (25 août 2017).
    Disparition de Raymond Barre (25 août 2007).
    Raymond Barre absent de l’élection présidentielle (12 avril 2007).
    La dernière interview de Raymond Barre le 1er mars 2007 sur France Culture (texte intégral).
    Triste vieillesse (8 mars 2007).

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    https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240412-raymond-barre.html

    https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/mon-raymond-barre-a-moi-253864

    http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/12/article-sr-20240412-raymond-barre.html